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Noyau de nuit

[Tueur sans gag]

6 Août 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Tueur à gags (2011)

     Fuir. Seulement Max n’était pas mort. Un seul pruneau l’avait touché, apparemment, lui sciant toute combativité, mais hélas ni la parole ni le mouvement. J’aurais voulu disposer du temps de peser le pour et le contre, légitime défense d’un côté, espoir d’impunité de l’autre, mais la décision deux devait être prise d’urgence, et l’était sans doute d’emblée : pas une seconde je n’envisageai d’appeler le SAMU, comme il m’en supplia d’une voix hachée par la douleur et l’épouvante, quand je le retournai. « Oké, détends-toi, tu vas t’en tirer. » Je tendis la main gauche vers le téléphone, et, comme le blessé refermait les yeux, lui fis sauter le front de la droite, en sucrant un peu. Y ai-je songé sur le moment? Il eût été particulièrement stupide de lui tirer la quatrième dans la nuque. Bien assez qu’une demi-douzaine de voisins aient pu prendre note du délai…

     J’empochai le fric, le flingue, mes deux chemises en boule, et une minute plus tard je descendais la petite rue d’un pas assez bien maîtrisé. Pas de fenêtre allumée, ce qui ne signifiait pas que nul ne fût aux aguets, mais exterminer tous les riverains passait mes forces. Je récupérai le scooter de la petite dans le coin sombre où je l’avais laissé, et mis le cap sur notre (ancienne) demeure, avec d’ores et déjà l’intention de revenir faire un peu de ménage, si les flics m’en laissaient le temps, et me mordant les doigts de n’avoir pas eu la présence d’esprit de simplement flanquer le feu à la caravane. Car j’avais, comme le dernier des abrutis,travaillé doigts nus, fort de la légitimité de mes actes, n’imaginant pas Max porter plainte et se faire entendre.

     Il me fallait des gants, des pompes de rechange, de quoi me dissimuler le visage, du combustible nerveux, enfin quelques petites choses que je savais posséder, mais qu’il n’était pas facile de retrouver dans le souk laissé par nos cambrioleurs. Combien de temps avions-nous passé à la fouille, avant de nous replier chez Liselotte? Une heure? Il ne m’en fallut pas la moitié pour tomber, au milieu d’une cantine que j’avais cru passer au peigne fin, non pas sur la paire de godasses que j’avais dans le collimateur, mais… gagné, sur mon DD soi-même! Ce n’était pas le moment de me lancer dans un chapitre de théologie amusante, mais voilà tout de même une grosse pierre d’angle que s’offrait l’hypothèse de l’Ange du Bizarre ou du Génie Malin, qui avait déjà, lors de certaines séries noires ou blanches, esquissé en moi de vagues échafaudages : à tout prendre, n’est-il pas plus économique que je sois devenu homicide, et même meurtrier, suite à une intervention démoniaque qu’à un de ces fichus actes manqués?

     La culpabilité de Max n’aurait rien dû y perdre en vraisemblance. En toute cohérence, il avait fait le coup parce qu’il était sans risque, et qu’il avait besoin d’une arme à feu. Faute de la trouver, il avait fauché diverses choses qui lui avaient tapé dans l’œil, ou qu’il pensait pouvoir revendre, et découvert par hasard la présence de grands formats dans certains bouquins, mais sans chercher spécialement à me faire endêver en embarquant un DD sans valeur marchande. Et cependant cette découverte catalysa des doutes qui avaient dû s’accumuler à mon insu : il avait paru surpris, et en outre en état de semi-ébriété, qui lui interdisait en principe une comédie crédible; il avait pu changer “mes” billets, mais enfin je n’en avais pas trouvé chez lui un seul de 500; il avait assurément cravaté mes chemises, mais étais-je bien certain que ce larcin fût récent? Depuis quand n’avais-je pas procédé à l’inventaire de mes fringues? Il m’avait sauté dessus, soit, avec l’intention manifeste de me changer en porte-manteau, mais cela non plus ne prouvait pas, il s’en faut, que le butin vînt de chez nous. Rien d’impossible après tout à ce qu’il eût réussi son mystérieux “gros coup”, et pour une fois qu’il avait un peu de beurre à gauche, eût préféré à s’en dessaisir non seulement m’occire, bagatelle, mais risquer sa peau. Je ne savais rien, sinon que je n’avais pas de temps à perdre à la gamberge, et notamment à la question éthique, qui ne m’intéressait pas. Devant un tribunal sensé, j’aurais pu plaider que je n’étais pas l’agresseur, et que même le coup de grâce n’avait lésé personne, puisque sa victime ne l’avait pas vu venir, et que l’instant d’après elle n’était plus là. Même en supposant possible qu’on le recousît, il ne gagnait pas nécessairement au change; qui donc à ma place se serait plongé dans une mer d’ennuis, dont le moindre n’était pas de m’aliéner cette Liselotte surgie du bleu, pour préserver la vie d’un type qui n’aurait pas levé le petit doigt pour prolonger la mienne, et qui bien au contraire venait de la menacer? Du reste, quand bien même il m’aurait été dévoué comme un toutou… SociopathePossible, je le répète. Mais si l’étiquette convient à tous, elle y perd toute signification, et je persiste à penser que la terre est peuplée de sociopathes dissimulés, dont la peur du gendarme, terrestre ou céleste, fait toute la morale, et à qui aucun crime ne coûte, s’ils ne se font pas pincer.

     Ayant fourré à la machine (cent degrés, tant pis si ça feutrait!) mes fringues ensanglantées, retrouvé la mob au bas de l’immeuble (un point de moins pour le Malin Génie), et balancé le Beretta par-dessus la grille du square qui jouxte la gare, où un paumé ne manquerait pas de se l’approprier, il fallut bien, à trois heures sonnées, revenir à l’Allée des Églantines, en espérant qu’ils n’auraient pas eu, si on les avait alertés, l’idée d’y établir une souricière. L’ennui, c’est que la rue était méandreuse, que Max habitait à peu près à mi-parcours, et que, par quelque côté qu’on l’abordât, il n’y avait pas moyen de savoir avant… de se jeter dans la gueule du loup. Il faisait frisquet, mais je crois que j’aurais gagné un concours de tu-mo quand je m’y risquai, sur deux-roues cette fois. Pas de gyrophare, pas d’uniforme, pas d’attroupement. Je disposais de trois heures, plus ou moins. Largement le temps de briquer toutes les surfaces : je n’avais pas cru judicieux de remplir un bidon d’essence à une pompe de nuit qui garderait trace de ma carte, ne disposais, comme boute-feu, que d’un petit flacon d’acétone, et n’étais nullement certain que tout serait consumé avant l’arrivée des pompiers. L’incendie d’autre part présentait l’inconvénient d’une révélation immédiate, alors que… l’idée se faisait jour, peu à peu, que si je pouvais disposer d’une nuit de plus, rien ne s’opposait à ce que je la consacrasse à un enterrement digne de ce nom, sous les parterres miteux qui longeaient la maison. Il y avait du péril, car j’ignorais tout des fréquentations de Max, mais je pouvais tout de même le limiter en fermant la porte à clef : je surmontai une certaine répugnance pour faire, dûment ganté, les poches au cadavre, poches où je trouvai, en sus du trousseau escompté, passablement de blé encore. Le fait est que lorsque je comptai le tout, j’arrivai à un peu moins que les 24500 qu’il avait pu enfouiller chez moi, mais que je m’aperçus plus tard qu’on avait laissé un bon tiers de la somme, par flemme peut-être de feuilleter l’intégralité de mes douze mille bouquins… Alors?? Absolument aucune idée ducoup auquel il avait fait allusion : je n’ai pas découvert sur Internet un fric-frac, une cambriole ou un enlèvement dans la région, datant du mois que j’avais passé en Thaïlande; mais la somme n’est impressionnante que pour un chômeur, et d’autre part j’étais bien placé pour savoir que la méthode la plus simple pour s’enrichir sans ennuis consiste à barboter de l’argent sale. Quant à mes cambrioleurs… hélas, si la vie devrait m’avoir enseigné quelque chose, c’est bien à résister à l’attrait des connexions et du sens. Au bout de tous les coupables satisfaisants pour l’esprit, faudra-t-il me rabattre sur un outsider insignifiant? Le pire, c’est que je n’en saurai rien.

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