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Noyau de nuit

[Ultime bafouille, ultime dialogue]

9 Juin 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Pour en finir avec l'amour (1997-2006)

    Et ainsi de suite, douze ou quinze pages à ruminer les griefs les plus éculés, avec un chouïa d'auto-dérision pas toujours perceptible, mais sans la moindre tentative de capter son point de vue : il faut croire que la bêtise me réconfortait, que je ne trouvais à me venger en esprit que par le refus de comprendre. Je n'allais pas jusqu'à l'indélicatesse d'écrire son texte, mais on en devine la pauvreté dans les implacables reparties de l'anti-héros. Il est vrai que sous ce rapport au moins j'étais prophète…

    Elle téléphona le 19, un lundi : autre chose à foutre le week-end! Après avoir décoché les deux allô rituels, et respecté deux secondes de silence, j’exhalai un gémissement : « Oh non, ça va pas recommencer... », et raccrochai, même pas sûr qu'il s'agît bien d'elle, mais n'en prêtant pas moins l'oreille aux chiens de la voisine, qui saluaient d'aboiements apocalyptiques tous mes visiteurs, et ne firent, les cons, qu'une exception : la bonne! Deux heures de silence plus tard, en effet, je trouvais, glissée sous ma porte, la bafouille que voici : 

     C'est fini – La leçon est apprise : comprise. Je n'appellerai plus, ne viendrai pas – Plus jamais? Enterrés notre passé et "notre avenir". J'avais pourtant cru qu'il était possible de vivre sans ce poids du tragique, qu'il serait bon – et pour toi et pour moi – de relativiser tout cela ensemble en y suppléant la légèreté de la vie, beaucoup plus agréable à avaler. Pourtant je ne cesse de me tordre les mains, d'éclater en sanglots depuis que je suis ici, et quand, pour la 1ère fois, je lève, sans un nœud à la gorge, le combiné : échec – Le noir de ce que je suis éclate à nouveau. Sans doute ces deux extrêmes cohabiteront-elles à tout jamais... Cela semble pourtant bien simple : léger/lourd, bien/ mal, bonheur/tristesse... A vrai dire, j'ai lié pendant longtemps bien et tristesse et tragique, création et douleur et il me semble n'avoir saisi que récement qu'il existait une "exploitation" de sa créativité dans la joie, sans doute aussi noble et certainement plus facile à vivre que l'autre.

     Quand tu es parti cet après-midi là et qu'après t'avoir vainement cherché sur les quais et dans les hôtels, je me suis retrouvée sans rien, sans espoir, "seule au monde et sans raison de vivre", je me suis dit que j'avais le choix entre survivre : pourrir comme cela avait été le cas depuis février et sans doute depuis plus longtemps encore; vivre, et mourir. Avec mes airs de tout ou rien et l'illusion de ne pas faire de concessions, j'ai en fait vogué longtemps – tout le temps? – entre deux eaux, incapable de choisir. Tu auras sans doute le sentiment que je n'énonce que des évidences : je ne les ai cependant comprises qu'il y a un mois. Regarder la "vérité" en façe ne m'a jamais amené que le désir de me réfugier loin du monde tant la peinture que je m'en faisais était noire et loin de la très-haute idée que j'avais de moi-même. La déchéance à petit feu est ignoble : elle a pris fin.

     L'instabilité est par trop négative, destructive et je pense que son principal atout, l'intuition, peut continuer d'exister dans la tranquilité. Je vais donc essayer de marcher plus ou moins droit. Où vais-je? Ma route se construira bien d'elle-même, puisque mon moi qui n'existe que partiellement ne peut connaître sa "voie".

     J'ai compris – à un degré sans conteste beaucoup plus infime – comment les trahisons qu'amène cette instabilité peuvent blesser. Il est plus facile de vivre sans espoir que de voir son espoir brisé.

     Je comprends que tu me taxes d'égoïsme, d'abjection. J'ignore si certains sont vraiment généreux : le degré de gratuité des actes "bons" se discute. Pourtant, crois bien que le regret que j'ai par rapport à nous est de n'avoir pensé qu'à moi, qui me donne le sentiment aujourd'hui de te connaître tellement peu. Ce qui est vrai.

     Je comprends donc que tu en ais assez des mauvaises surprises, des lâchetés, des bassesses, et que tu préfères ne plus jamais me voir, ne plus jamais entendre parler de moi.

     Mais je persiste à croire que tu comprends mon language et que je peux aussi saisir le tien. Aussi, sans y mettre un quelconque espoir mais en y croyant tout de même un peu, je t'assure que je serai là, n'importe quand, si tu étais d'accord de me revoir, quand ta sérénité sera telle qu'il ne sera plus possible de rien détruire, seulement de construire

     Je t'ai dit que je t'aimais. Je ne puis le démentir. C'est toi qui m'a éveillée et m'a "appris la vie". Je te dois plus qu'à quiconque et je tâcherai, même si tu n'es pas "là", d'être un bon poulain.

    Ébranlé, pas vraiment, mais tout de même perplexe… Tout se passe comme si nous n'étions pas sur la même longueur d'ondes! Ou elle me prend pour le dernier des abrutis, ou Parano, le génie de la lampe, m'a offert un beau palais de supplices... Prétendre qu'on se traîne depuis un mois dans le désespoir, qu'on a passé son Maurice à pleurer, cela ne coûte guère, même pas un peu d'amour-propre, quand c'est faux... Facile de traduire que les amants de Paris, les activités californiennes multiformes, la famille et les quelques copains qui restent en septembre l'ont occupée jusque là, qu'elle n'a saisi son combiné que par désœuvrement; et c'est reparti pour une kyrielle de résolutions creuses, en style plus vaseux que jamais : les thèmes qu'on suppose propres à malaxer le cave, mais que le mensonge vide de rigueur et de clarté. Oui, et de toute façon c'est à cette version-là qu'il faut me tenir : un raccommodement ne serait que la porte ouverte à de nouvelles trahisons. Mais tout de même, tout de même... Est-ce que l'ennui suffit à expliquer cette relance? Outre que je n'arrive pas à me la peindre effrontée au point de me relancer avec un tel cinéma, après m'avoir appelé entre deux baises pour se réserver un espace de

    Pas le temps de mener cette belle cogitation jusqu'à son aporie habituelle : ça sonnait de nouveau. Une voix de glace : « Juste pour dire que j'ai laissé une lettre et que je ne voudrais pas que quelqu'un d'autre la trouve... – Pas de problème, je l'ai trouvée. Et lue. – Alors… – Tu sais, t'as tort de me prendre pour un con. – Mais je ne te prends pas p… – Je n'ai jamais été un con : j'avais décidé de te faire confiance, c'est tout. Mais ne t'imagine pas que cette atmosphère de réticence et de mensonge soit respirable… Quand tu m'as bigophoné "je t'aime" en août, j'ai cru que ça signifiait quelque chose, parce que ça correspondait à ma vérité. Et tu n'avais en vue, entre deux coups de pines, que de rentabiliser un voyage payé en septembre, par la maîtresse de ton père, je suppose… – Je n'étais pas sûre de venir! – Mais tu n'es pas venue pour moi, et il n'avait été question que de ça, alors que tu t'assurais juste un peu de divertissement supplémentaire. – Tu crois que je cherche des distractions? Je n'en manque pas, de distractions! – Tant mieux! Félicitations! Alors tu ne passes pas tout ton temps à te tordre les mains et à éclater en sanglots? Tu sais, t'es même pas douée, comme menteuse, malgré la pratique intensive : tu n'arriveras jamais à tromper que ceux qui t'aiment et se fient à toi. Et qui peuvent à la rigueur accepter l'égoïsme et l'instabilité, mais pas le calcul. – Je ne me démonterai pas, d'abord parce que c'est pas vrai, et puis j'ai décidé de ne pas me démonter. – Bravo! C'est l'essentiel en effet. Tu choisis toujours bien tes priorités. Eh bien, je ne me démonterai pas non plus. » Et de fait, je raccrochai.

    Textuel, ou presque. Ça sonne un peu dialogue de roman, du moins mon rôlet. Mais rien d'étourdissant, et puis je l'avais partiellement préparé. C'est plutôt à mon cher ange déchu que je prêterais un peu plus d'esprit, si je tripatouillais le réel : à vaincre un tel croquant l'on triomphe sans gloire… Un triomphe d'apparat, ça va sans dire, et à base d'autodestruction, comme tous ceux que j'ai connus, avec elle, avant elle et depuis! Car j'avais grand désir d'être réfuté, et ce fut le texte nouveau de l'attente, que cette cassante diatribe avait adoucie, mais, si étrange que ça me paraisse à présent, relancée : inconcevable qu'elle ne tentât pas de se laver de telles accusations, si elles n'étaient pas fondées! Et je ne pouvais m'empêcher de retenir à sa décharge la pauvreté de ses répliques : coupable, en somme, elle aurait dû prévoir, et briller un peu plus!

    Passèrent les jours, irrégulièrement ornés d'appels muets, et je m'efforçais d'ouïr dans ce mutisme un aveu : un rampant comme moi, inféodé au regard d'autrui, n'aurait eu de cesse de se disculper s'il l'avait pu – ou, sinon, de passer à confesse : de verbaliser à tout prix, de ne rien laisser dans l'ombre. Mais je craignais qu'Hélène, plus hautaine, moins dépendante, ou ulcérée par l'injustice, ne dédaignât de s'expliquer. Et je me traitais d'andouille, de lui avoir octroyé, en abattant mon jeu, la sécurité qui m'était refusée : elle, au moins, savait à quoi s'en tenir. J'avais refusé de l'entendre plus avant, soit; mais pour qu'elle insistât : une fois de plus, une fois de trop, c'est dans le bluff que je m'étais raidi.

    Car s'il m'était inacceptable d'être inscrit dans une planification où je ne voyais qu'amusante peccadille, quand elle ne visait que le reste de l'humanité, si ces quelques heures d'indifférence et de mépris palpables, à Paris, me cuisaient encore, il n'en demeure pas moins qu'on n'écrit pas une telle lettre, même mensongère de bout en bout, même s'il doit la garder pour lui, à un bonhomme dont on se fiche complètement. Je n'allais pas, comme si ces formules eussent constitué des engagements, lui remettre sous les yeux, quand le besoin de la revoir deviendrait irrésistible : "je t'assure que je serai là, n'importe quand", pas plus que ces "je t'aime", qui, à cinq mois de distance, avaient pareillement et sans délai tourné en eau de boudin. Mais tout de même il est des déclarations qui n'ont aucun sens, quand on les coupe de toute durée, et qui, normalement, coincent un être pensant, l'obligent, ne serait-ce que jusqu'au surlendemain! C'était se démentir, par exemple, que d'user de sa fin de séjour pour courir le guilledou au vu et au su de toute l'île. Ni le "coup du désespoir" ou de la rétorsion, ni la pirouette qu'en la mésestimant je l'eusse détachée de moi, n'étaient soutenables : se taper un mec, c'était dévoiler le vide des jérémiades qu'elle m'avait adressées. Mais je devinais que cette belle logique ne s'appliquait pas à une fille attrayante qui tirait un coup comme je lisais un livre, pour passer un bon moment, et, tout autant que sa venue, j'attendais, par la bande, le narré de ses frasques et le nom des élus.

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