Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Noyau de nuit

[Le soulagement de se voir en fautif]

3 Juin 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Pour en finir avec l'amour (1997-2006)

    Le comble, c'est que les représentations que je me faisais d'elle, de moi, de nos respectives valeurs marchandes et de ses activités, étaient le jouet non seulement des arrivées de mignonnettes dans ma case, et des échos déformés de sa vie, mais de tout le reste, d'un ciel indifférent, de couples entrevus [1] ou de livres écrits avant sa naissance : Que me poignardent ces bouquins où faire l'amour est si facile, où ça ne se refuse pas, une bonne "tringlée"! où l'on s'enlace, et puis se lasse; où l'on ne garde qu'un souvenir distrait des passades… J'ai encore besoin d'une rapide conjuration pour ne plus y penser! Et je me sentais mieux avec Bernanos, ou Stendhal, ou Jim Chee, qu'avec Fear of flying, par exemple que j'avais pris distraitement dans la bibliothèque du "campement" ( = villa en bord de mer)  d'Anbu [2], où j'étais allé passer une quinzaine : 19 juillet  […] Je ne le confesse pas sans honte d'un best-seller traduit chez J'ai lu, et de vingt ans d'âge encore! mais depuis longtemps bouquin ne m'avait fait de l'œil comme Le complexe d'Icare d'Erica Jong, qui, négligemment abordé hier soir en quête de soutien pour une vague branlette, m'a tenu éveillé une partie de la nuit, ou plutôt, métamorphosé en cauchemars intraduisibles, m'a réveillé vers deux heures du mat, ne se laissant lâcher que terminé... Bon, les branlettes, soit, une petite demi-douzaine, facilitées moins par les détails physiques que, comme toujours, par le désir que confesse une narratrice, désir que font naître ou satisfont toutes les formes de viol ou de forçage, c'est à dire ce dont je suis le plus incapable; le plaisir que je prends là est certainement masochiste : dans la scène la plus bandante pour moi, celle où Adrian, qui se révélera ensuite plutôt insignifiant, pelote et louange les fesses de l'héroïne-auteur à la minute même de leur rencontre, lui trempant la culotte, à supposer que je projette en Adrian quelque chose de moi, c'est une incarnation impossible, ce que j'aurais voulu mais ne pourrai jamais être... plus probablement, ce sont les succès des autres qui m'excitent : quand Hélène apparaît dans mon cinérotique, c'est le plus souvent (et le plus efficacement) draguée, soumise, rendue servile par l'attrait du plaisir, accro au premier brutal venu qui lui caresse les seins dans une boum, ou à l'amant d'une copine qui la déshabille entre deux portes, en prenant soin de ne pas faire de bruit, qui l'affole alors qu'elle n'est pour lui qu'un coup de passage... Ce conquérant, je ne l'ai jamais été, et ne le serai jamais, et cela devient tragique dans un monde où, con, pauvre, chauve, ventru, il suffit de vouloir pour tout obtenir d'une femme : c'est dans ce monde qu'Erica Jong me fait pénétrer, comme tous les romans de Q, certes! Mais on n'en accepte généralement les données que le temps d'un atchoum, car ce sont des romans, et l'ouvrage d'hommes; ici l'autobiographie affleure, ou c'est bien imité, une femme parle d'elle-même, et pas tellement aux mecs, dirait-on... et, en tant que femme, elle me parlait d'Hélène! Duo [3] ou Manon Lescaut m'assombrissaient comme une confession que j'aurais reçue de Paris… et j'étouffais ou respirais selon que je la voyais me voir en Marmeladov ou en Stavroguine. Je n'allais pas jusqu'à choisir des lectures émollientes, puisque j'étais sans influence sur les siennes, et que je me figurais encore ne pouvoir parvenir à la guérison qu'en vidant le calice du pire; mais dans quelle branloire j'évoluais, au hasard de grimoires où je cherchais ce regard dont j'avais besoin pour être, tout comme elle s'était aliénée au mien! À nulle autre je ne m'étais dévoilé davantage : être jeté comme objet inutile ou erreur de jeunesse, c'était sombrer tout entier dans l'abandon originel; et la jeter, revenir à la contingence.

     Comme je consacrais le plus clair de mes jours à traiter le sujet, il n'était pas possible que le ressassement du ressentiment ne fût traversé d'accès de résipiscence; et je ne vois pas trop ce que j'avais "découvert" de si neuf quand je m'exclamai, le 9 août à 18h08 : J'ai compris, merde! Quoi de plus, ç'apparaîtra sans doute mal, mais j'ai compris son point de vue : rien de si simple, il suffisait de lire ses lettres pour saisir de quelle vilenie ont dû lui apparaître mes vociférations de pauvre mec délaissé, ne songeant qu'à raccrocher n'importe quelle meuf pour la remplacer, au lieu de regagner d'un coup d'aile le nid d'aigle du boulot, de l'écriture, de la pensée! À quel niveau se situait-elle? C'est douteux, mais il se peut qu'elle n'ait jamais songé qu'à cingler vers une liberté intellectuelle qu'un gourou tenait à l'ancre, qu'il n'y ait pas eu le moindre pénis là-derrière, et même que rompre ce cordon ombilical lui ait demandé un effort douloureux! Mais que je me sois montré si bas (et je l'étais! le suis!) que c'était son rêve de grandeur et de beauté qui roulait dans la boue... Une haute recherche commune était l'assise de son attachement pour moi, elle m'entretenait de cette tension vers la vérité à chacune de ses lettres, de cette aventure de l'esprit à deux, et moi je m'en foutais un peu, car je n'ai aucun besoin direct d'elle... j'allais dire : pour réfléchir et écrire, mais cela même est inexact : de quelle réflexion, de quelle écriture suis-je donc capable en ce moment, et depuis toujours? Passons... C'est curieux, la gymnastique spirituelle qui m'est nécessaire pour l'apercevoir, elle, dans sa grandeur, elle dont les défaillances, dans notre histoire, n'avaient jusque là pour ressort que l'inconstance, la futilité, et même une certaine mesquinerie (lettre allemande)! Et c'est un passage d'une bafouille de janvier, que j'avais dû parcourir distraitement en son temps, un passage tout simple, qui m'a ouvert les yeux : « Après ces vacances moins réussies qu'elles n'aurait du être, j'ai peur, il est vrai, que tu ailles "voir ailleurs", non pas au niveau des filles (??), mais plutôt que tu reviennes ou te diriges vers des centres d'intérêt plus utiles, formateurs, grands, où trouver un nouvel équilibre, sans moi. » […] Je ne "réalise" mon ignominie que par flashes, mais il me semble qu'il y a un vaste territoire à explorer. Ma lettre à Geneviève! Ces pages de journal qui me paraissaient "toutes naturelles", et qui l'étaient, émanant d'un yéti de mon espèce, mais qu'elle n'avait jamais vu ainsi... Bien sûr, elle ne m'a jamais "eu dans la peau", et l'admiration, la confiance qu'elle avait pour moi ont dû en prendre un coup! Humain, trop humain... On ne rejoint pas par-delà la mer (et à ses frais) un type de ce carat, dût-il se tuer... Personne à son foyer, heureusement... Elle doit vadrouiller en Europe avec le pognon de juillet, ce pognon qui fait toujours problème, et plus que jamais, si je tiens à la regarder ex imo... C'est assez affreux, ce sentiment d'avoir eu tort sur toute la ligne me ravage les entrailles à peu près autant que les révélations d'Yan l'autre jour... une optique où toutes mes interprétations infamantes se retournent contre moi! Eh bien! Il faudra apprendre à encaisser cela aussi. Ne pas céder une seconde fois à l'attrait du bigo, mais il est certain qu'appeler Rachel non plus ne me botte plus ce soir! Pourquoi est-ce le coup de grâce? Parce que je comprends enfin qu'il est normal que ce soit fini, que je ne reçoive plus rien – mais je n'en suis pourtant pas convaincu au point de ne pas adopter une ligne justificative... Dans un mois ou deux de plus, Yan lui dira que j'ai "conquis la sérénité" en écrivant un bouquin : ce sera regravir quelques unes des marches que j'ai si étourdiment dégringolées... ça fait loin, et d'ici là, il faut vivre... […] J'ai eu tout faux! Quand je pense à cette immonde lettre à Geneviève, censément destinée à attirer l'attention sur la persistance de ma douleur... Ma douleur n'a jamais fait de doute, c'est à sa qualité qu'on en avait... Laissons, ça va me soulager de ne rien attendre (bien qu'encore une fois je ne comprenne pas par quelle pirouette morale elle garde pour créancier un pauvre type)... Oui, enfin... Pour le moment, ça ne me lance pas vers de nouvelles aventures! J'ai l'impression d'une entrave, au contraire!... Qu'une nouvelle maîtresse aggraverait mon cas. Attendons demain et distrayons-nous en attendant; mais n'oublions pas qu'il faut creuser cette fuyante révélation : les feuillets trop lus de la Portion [4]  se refusent à cracher une coulpe inhabituelle; mais d'autre part il me semble qu'avoir vraiment déçu Hélène, être coupable de quelque chose, m'épointe un peu ses nécessaires amants d'août.

    Dès 20h47, j'avais "un peu égaré ma révélation" et tendais à y lire "beaucoup de bruit pour rien". Est-ce que, simplement, après avoir tonné en vain contre la "coupable", et désespérant de lui servir un jour ces réquisitoires qui n'étaient peaufinés que pour elle, j'essayais d'autre chose, d'une représentation… moins douloureuse, oui, parce qu'inscrire la faute à mon compte supprimait l'humiliation d'avoir subi; mais celle d'avoir déçu, mais le mépris, subsistaient, ma soi-disant faute n'étant pas délibérée, ni corrigible peut-être : c'était ma vilenie, c'était moi-même… et je brûlais de m'en laver par l'aveu : "Personne à son foyer" dévoile le pot aux roses : je n'avais sans doute sécrété cette "version divergente" que pour me donner le  droit de téléphoner [5].  Me serais-je, à mon tour,  borné à raccrocher sans un mot? Lui aurais-je demandé d'entériner "son" point de vue? ou l'aurais-je exposé en trois points et sans appel, ni la moindre allusion à un revoir? C'était lui en laisser l'initiative, rien de plus, dans l'effroi d'un refus. Pourquoi mettais-je les pouces, après cinq mois de raideur? La raideur n'avait jamais visé qu'au renœud, et son inefficacité semblait établie. Le dernier dring-et-rac datait du 4 juillet; elle avait pu les multiplier pendant que j'étais sur la côte, mais par J + 21, c'est plus qu'un retard que j'enregistrais le 9 août. Enfin, j'avais un billet pour le 16, retour en septembre, dont j'hésitais à faire usage… Traîner sur les quais! Risquer je la rencontrer avec le Suivant, en ces lieux que nous avions parcourus main dans la main? Voir Paris, même à la télé, m'était poignard.

 

 

[1] 22 juillet  Nausée hier dans les rues de Mahébourg, devant, main dans la main, un grand blanc de dix ans mon cadet, et une petite noire plutôt moche, de l'âge d'Hélène à peu près : impossible à première vue de lui prêter d'autres motivations qu'économiques!

 

[2] Celui, plutôt,  de la dondon qu'il  épousait alors,  "bâtissant,  comme le castor,  sa maison avec sa queue" (selon la perfide – et au fond élogieuse – expression de son gros pote), et perdant au lycée les trois quarts de son aura.

 

[3] de Colette.

 

[4] Le journal-courrier qui avait provoqué la rupture.

 

[5] Encore un coup de turlu  :  je ne peux plus me retenir :  on dirait que je n'ai inventé cette nouvelle facette de la vérité que pour m'autoriser à me vautrer dans la fange; heureusement (?) elle n'est pas là, et personne d'autre! Tout porte à croire que le foyer est fermé.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article