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Noyau de nuit

[Pinaillages d'arrière-garde]

16 Septembre 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #www.rancœurs.com (2003)

Dim 30 Jan 2000    7:12  Poursuivre, non, inutile d’insister, pas sur le même ton et tout masque à terre! Songez que l’intermezzo fut somme toute bien court, et que dès demain me revoilà face à des classes qui savent à peine lire, mais seraient capables d’apprendre, s’il se répandait que leur prof confesse quelque part sur le Ouaibe combien de rassis il s’offre par nuit, ou les sentiments très tièdes qu’il va très probablement vouer au remplaçant de l’infortunée Foutric! L’anonymat était sine qua non, on voit pousser à vue d’œil les réticences comme un parterre d’orties, comprenez que j’encours d’autres risques que le ridicule et l’opprobre! J’ai vu les murs de ma solitude se fendiller de partout, et en fin de compte ce n’est même pas le statu quo ante que je retrouve, puisque je suis privé de voix à l’heure où des oreilles s’offraient à l’entendre : n’être sincère qu’à demi, c’est pire que la langue de bois. J’espérais confusément un changement de poste, n’importe lequel, mais comme je n’ai même pas osé en faire la demande, je vais retrouver demain les mêmes classes aux mêmes heures, sans savoir au juste ce qu’ils connaissent des anathèmes dont je les ai accablés; quant aux collègues, guère de changement : je me serai aliéné les quatre ou cinq qui me saluaient encore… si tant est qu’ils aient eu communication du texte intégral, et ce serait par des voies détournées : Libé a été plutôt discret, et sans doute devrais-je censurer cela, à l’heure où mon débarbot les menace d’un procès et espère, pour lui comme pour moi, un substantiel dédommagement. Pas tout à fait des droits d’auteur, non… La question est bien embrouillée, d’ailleurs : on pourrait soutenir que j’ai jeté moi-même le texte dans le domaine public, sans copyright ni protection d’aucune sorte… Allons, j’en rougis. Touchons, si c’est la loi, notre héritage ou nos dividendes. Mais n’imaginons pas les mériter.

    Je me demande si Colline m’a destiné au simple rôle de bouc émissaire du jour où il a découvert ma prose. Il paraîtrait plus naturel que, constatant les sentiments cordiaux que je nourrissais à l’encontre de Youssef, il ait planifié de me pousser à bout, pour que je me charge moi-même d’abattre le morveux qui le dérangeait.  Dans cette optique, c’est à la main du Gros qu’il faudrait attribuer les derniers attentats contre ma caisse. Pour un homme installé, m’objecté-je à moi-même, c’était prendre un gros risque, de chier sur mon siège, même au plus noir de la nuit. Mais je n’ai pas examiné minutieusement la crotte, et il se pourrait qu’elle ait été tout bonnement ramassée dans le caniveau : était-elle humaine, seulement? Un début d’escalade, tout comme les coups de fil nocturnes. Qu’aurait-il inventé ensuite? Mais avait-il besoin d’inventer? Ne lui suffisait-il pas d’ouvrir www.rancœurs et d’y calquer mes hantises?

    Méfiance! Excessive facilité de tout prêter à cet agent secret : mais bien sûr! C’est lui qui avait fait valser une cantine sur le toit du voisin! Je me disais bien aussi que le mistral… Mouais; seulement ça date du 27, trois jours avant la date-butoir, selon la police et le simple bon sens : jamais Violette avant lecture n’aurait livré ma clef, ni après lecture ne serait parvenue à jouer une telle comédie. Et cette scène de viol dans les chiottes, que je m’interdisais, le 16 novembre, d’aller moucharder « à cette ordure de Foutric ou à ce corniaud de Lobèse », je ne puis l’imaginer la dictant à la petite, sans contrôler le reste de son “roman”, et en laissant passer ce “grain de beauté” sur lequel il a en fin de compte trébuché! Cet épisode garde le poids et l’opacité du roc, je ne sais qu’en faire : l’appel au secours, je l’ai entendu! Mais c’était du toc, le réel était trafiqué. Pourquoi inventer à demeure un parâtre peloteur? tout en lui plaçant un signe distinctif au bon endroit… Moucharder à bon entendeur, en se réservant la retraite : « C’était un roman! » pour éviter des représailles dont elle était à même de deviner l’envergure? Peut-être. Mais elle me mettait sur la trace de la pédophilie, et un mieux répandu que moi n’aurait pas manqué de faire le tour des relations de la mère…

    Quand je me livre au jeu des hypothèses, il y a un point sur lequel je ne dois pas autoriser mon amour-propre à me bander les yeux : quoique la barbe constamment sur l’épaule, pas un instant je n’ai deviné que Colline connaissait Rancœurs et se jouait de moi : j’avais taillé le costard de mon homme, et, comme dit Fedka de Piotr Stepanovich, je vivais avec l’homme que j’avais inventé. On frissonne un peu quand on songe qu’il en va de même de tous les autres! et que même à présent il m’est impossible de répudier complètement mon Colline-Lobèse, cet opiniâtre idiot capable de vous soutenir mordicus que la cocaïne est hallucinogène, ou que le millénaire finira un an après le siècle : ne me dites pas qu’il faisait l’âne exprès! ni que la visible volupté qu’il éprouvait à n’utiliser que les idées reçues et les formules toutes faites relevait du camouflage! Ce type était authentiquement bête, il n’en est que plus humiliant d’avoir été roulé par lui. Mais il découvre son portrait au premier jour des vacances : sa fureur de gorille a une semaine pour se calmer. D’abord, il pense aux représailles : m’aliéner ma nana, récupérer une clef en vue de quelque déprédation amusante… remise à plus tard, puisque je ne sors pas de chez moi; et puis, qui sait? Au cas où un meurtre deviendrait nécessaire, gardons cette bonne pomme au frigo…

    Je jurerais… non, plus de rien, mais tout de même… tant de cautèle! Je gagerais, pas ma tête, cent sous, que la fugue de Dom l’a pris sans vert; peut-être a-t-il poussé Youssef vers la porte, il avait au moins le pouvoir de lui fabriquer un dossier, mais il aura été surpris des conséquences. Qu’est-ce qui s’est donc passé, ces quelques jours de décembre? Youssef m’envoie sa poulette, pour me soutirer du pognon. Mais elle n’est pas rodée au métier, et tombe sur un eunuque mental : les voilà avec mille balles, mince viatique pour un tour du monde à deux. Alors?… Le petit voyou s’en prend-il au gros scélérat? Attendez, le temps de passer à la banque, j’ai une planque provisoire, Dominique la connaît bien… Il les trimbale au Val-Boffit… Poum! Voyez chevrotines! Dans les dents! Et puis, l’évidence : la petite parlera, ce soir, demain, la semaine prochaine… La seconde cartouche pour elle! Prévue d’entrée, probable… C’est bien triste, mais entre cinq ans de taule pour moi et cinq mauvaises secondes à passer pour les autres, tu balances, Hortense? C’est que tu es une femme, ha ha.

    Et Scrève pour le bada, au cas où le suicide ne convaincrait pas. On est quoi? le 9, le 10 décembre? Cheveux, boutons, il a eu plus d’un mois pour faire son marché, quand il me savait au boulot. Sa parcimonie m’étonne; mais peut-être qu’il sème à la volée, et qu’on n’en a pas retrouvé le quart? Qu’entre les pages de ce Borges, de ce Breton, une rognure d’ongle tachée de sang attend le jugement dernier?

    Il les a tués le 9… le 10 décembre? Le même visage, placide et niais. Et au conseil de classe, c’est lui qui me retourne sur le gril! Pas mal. Et puis, la découverte… un bec! Foutric a une case dans le coin, elle a dû l’apercevoir un jour avec la petite, de là le mépris qu’elle lui manifestait, s’il est besoin d’une origine. Elle l’avertit qu’elle se sent tenue d’en référer, attendu les événements… Han! Et mon cheveu dans le slip? Je suppose qu’il l’avait sur lui… Possible aussi qu’il ait bloqué la porte du parking, et soit revenu par là… Hasard, la trempette des papiers? À quoi rimerait-elle?

    Bien décevant, mon deus ex machina. Rien ne s’ajuste, ou alors à grands coups de pied. On patauge dans le « C’était pas Scrève, mais un autre tout pareil, qui portait juste un nom différent. » Pas satisfaisant du tout pour l’esprit. Esthétiquement parlant, la pire des solutions. Ma culpabilité eût mieux convenu. Ou simplement, disons, ma condamnation. Le coup passa si près?… Je me demande. Il me semblait être pris dans un piège à rat, et Colline peut-être ne s’est débattu que contre l’inéluctable, et n’a pas un instant quitté des yeux son compte à rebours. En tout cas, moi si veule dans les circonstances ordinaires, je n’ai pas faibli. Même quand j’ai cru comprendre que les cognes disposaient des indices un peu partout, et même, par une horrible illumination, que c’était comme toujours, et que la plupart des pendus, des boullus et des décollés n’étaient pas plus coupables que moi, je l’ai somme toute bien pris! J’ai des témoins! J’hésite à m’envisager avec une telle complaisance, mais après tout, si j’avais eu la chance de naître en des temps un peu plus agités, peut-être me serais-je montré crâne sur les barricades ou dans les boudoirs de la rue Lauriston. D’accord! D’accord! Quels que soient les temps, nos circonstances, c’est à nous qu’il appartient de les faire. Mais convenez que dans le vice ou la vertu ça vous facilite un peu la grandeur que la maison brûle ou qu’on vous donne le choix entre le S.T.O. et le maquis.

    Cela dit, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre d’être peinard, et ce bref séjour m’a suffi. Au vrai, je lui reproche surtout de m’avoir bouffé les vacances : une sérieuse prolongation sur l’ouvrable ne m’aurait pas déplu : entre la geôle que je quitte et la galère que je réintègre, mon dégoût balance.

 

fff

 

 

De Nelly D. à Gilles Scrève (carte postale sous enveloppe, cachet illisible)

 

    Bonjour, Monsieur. Il paraît que vous êtes rentré chez vous, et je m’en réjouis, quoique je n’en doutais pas. J’espère que vous vous remettez de tant d’émotions et d’injustice. Je vous ai écrit en prison, avez-vous reçu ma lettre? Vous n’êtes pas obligé de me répondre, bien sûr. Mais ça me ferait plaisir de recevoir de vos nouvelles. Je me suis enfin mise à la page, j’ai une email que je peux consulter régulièrement : agnelly@wanadoo.fr. N’hésitez pas à me mettre un mot, ou à me faire signe si vous passez par Toulouse.

    Quoi qu’il en soit, je vous souhaite une bonne remise en route.

        Nelly 

 

De Rancœurs (rancœurs@vidgamail.com) à Nelly D. (agnelly@wanadoo.fr)

Le 2 février 2000, 6h59

Objet : Mise au point (final?)

 

    Non, ma belle, ta bafouille ne m’est pas parvenue. En revanche, des amis qui me veulent du bien m’ont communiqué une dépêche d’agence dont j’extrais le passage suivant :« C’est un très bon prof, déclare Melle Nelly D., martiniquaise qui poursuit à Toulouse des études de droit, il m’en a appris beaucoup parce qu’il est passionné, il ne ment pas comme les autres pour respecter des conventions, mais il pourrait bien mentir pour s’en écarter, il faut se méfier un peu de ce qu’il dit : il exagère toujours plus ou moins, parce qu’il cherche à faire de l’effet; et alors, quand il se met à draguer, là ça donne envie de pleurer. » La jeune fille, qui connaissait de vue Violette Lebon, tranche : « Si elle est vraiment sortie avec lui, c’est par intérêt ou par pitié. Non mais faut pas délirer! Vous l’avez vu? » Et c’est avec la même assurance qu’elle écarte la possibilité qu’il soit un assassin : « Qu’il passe la moitié de la journée et les trois quarts de la nuit à rêver qu’il extermine tous les chefs, d’accord. Mais c’est tout dans la tête, il ne ferait pas de mal à une souris! » Mais après réflexion : « De mal physique, je veux dire. En paroles, il peut être cruel. » Nelly a écrit à son vieux prof en prison, pour lui remonter le moral – d’autres phrases, sans doute.“ Avant de t’écrire moi-même d’autres phrases, tu comprendras peut-être que je souhaite savoir si les passages en caractères gras reflètent bien des propos que tu aurais effectivement tenus – toi que je n’ai jamais draguée, ou alors dans tes cauchemars. Avec les journalistes, on ne sait jamais.

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