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Noyau de nuit

[Le secret d'aller loin : n'écouter personne]

16 Septembre 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #www.rancœurs.com (2003)

De Candice (caninakhan@phemail.com) à Rancœurs (rancœurs@vidgamail.com)

Le 20 février 2000, 20h16

Objet : re : rupture de stock

 

    Non, non, Candice est l’ultime poupée, une poupée très désappointée d’ailleurs depuis deux jours, et qui se tâte pour te répondre… se demandant si tu te moques d’elle. Qu’est-ce que c’est que ça, franchement? Une homélie antiraciste, un cours de troisième sur l’intelligence, une Invitation à l’Écoute… Enfin, les tartines les plus éculées de l’idéologie du sympa, qui traînent dans toutes les bouches et auxquelles personne ne croit… Ce n’est pas parce que l’hiver est froid qu’il faut me remplacer les terrasses de café! Mais tu te gausses, ou te méfies, c’est évident, tant ce bla-bla-bla est en retrait sur le texte de ton journal, que tu ferais bien, en effet, de relire avec soin : on dirait qu’il a des choses à t’enseigner. Prends cette entrée du 2 décembre, la première sur laquelle je sois tombée, et qui m’a incitée à prendre connaissance du reste : « Je me trouve plus pertinent qu’un crétin, plus percutant qu’un vaseux : si ce crétin, ce vaseux, je les répute valables, sur quelle cime vais-je me loger, moi si supérieur à eux par le style et l’exigence de lucidité? » Plus loin : « Suis-je bien assuré de ne pas compter parmi ces prétentieux délirants, qui sont les premiers à flétrir leurs semblables? Non. Il me semble pourtant être en quête d’interlocuteurs, et non à l’affût, comme ceux-là que j’ai dit, de la moindre bévue qui m’autoriserait à faire le ménage, à éliminer un être de plus de l’humanité. […] Je ne crois pas jouir des condamnations que je prononce, parce qu’elles me renvoient à ma solitude. Mon plaisir, je le prends, au contraire, à découvrir quelqu’un qui ait du neuf à m’apporter : la vie en est avare. N’empêche qu’on peut trouver suspect ce besoin de tailler aux insignifiants un monument funéraire, au lieu de m’éloigner d’eux sur la pointe des pieds, et significatif que les intéressants soient à mes yeux si rares… » Qui a écrit cela? Toi, je suppose que tu n’as pas les moyens de te payer un nègre, et je pourrais te citer vingt passages semblables, qui ne brillent pas par le refus de classer prématurément, ou de purger le corps social des nuisibles. Juste trois pas en arrière, 7 octobre, sur “Mourad” : « Vidé de partout, faudra-t-il le vider de la vie? Il faut que chacun vive… Ouais. Même les frelons? Les moustiques? Les animaux de boucherie? Les hommes. Mais ceux qui ne savent que nuire? Le fauve encagé, abattu, est bien à plaindre, c’est entendu, mais faut-il compter pour du beurre ceux qu’il aurait dévorés? […] on ne peut rien pour ces “souffrants”, qui gangrènent tout le troupeau. » Je te demande d’aller plus loin dans la sincérité, en te promettant le secret, et tu as l’aplomb de me seriner la ritournelle sur le colonisé dont toutes les tares viendraient du blanc! Il ne manque que les travailleurs immigrés, qu’on a appelés pour reconstruire la France! Eh bien, pendant qu’on y est, un exposé de ce qu’ils auraient fait sans nous m’intéresserait fort! Il y a des gens qui apprennent le français en un an, et d’autres qui baragouinent encore à la quatrième génération, est-ce que la différence vient du colonisateur? Et ne va pas te figurer que ce sont mes convictions que j’essaie de placer là, je n’en ai aucune, et ne jette la pierre à personne… si ce n’est à toi, et à ton prône larmoyant. L’Écoute? L’Ouverture d’Esprit? Tu en es vraiment là? C’est pour mieux te manger, mon enfant… Il n’y a pas plus bête, plus superficiel, que ces gens qui écoutent et comprennent tout… tout sauf l’essentiel, tout de l’extérieur. Qui trop embrasse mal étreint. La voie pour aller loin, pour découvrir, pour innover, c’est au contraire de n’écouter personne, et de croire en soi, de creuser son tunnel, au risque de l’erreur et de la folie. Aller au bout de soi, au cas où l’on en vaudrait la peine, et que le meilleur gagne! Non mais tu vois Napoléon, ou Dali, ou ton cher Proust, écouter les autres? Écouter les cons? Ils n’auraient pas fait grand-chose, j’espère tout de même que je ne te l’apprends pas? Mais non : censure ou fausse honte, tu me mènes en bateau. La seule discussion qui mène à un dépassement, c’est celle qu’on a avec soi-même, et c’est d’ailleurs la seule que tu aies.

    Tu peux user ton éloquence à dénoncer la bêtise du racisme, il n’en demeure pas moins qu’un peuple vagissant, obstinément incapable de se dépatouiller seul (même quand il flotte sur une mer d’or noir), ligoté dans des croyances décervelantes, ce qui serait bête, c’est bien de faire aveuglément confiance aux individus qui le composent. Les condamner sans les entendre, non; mais après les avoir mille fois entendus, tirer un trait, faire un bilan et le traduire en probabilités pour la suite, si c’est cela que tu refuses, c’est que tu veux vivre dans un rêve. Je ne suis pas raciste, et réprouve toute violence, d’où qu’elle vienne; mais je ne trouve pas bêtifiante du tout la conviction d’appartenir à une race élue, ou simplement supérieure : c’est au moins une base pour cette foi en soi qui déplace les montagnes, ou les aplanit. Quelles que soient nos facultés, ce n’est pas les utiliser au mieux que se torturer à vide sur le thème : « Et si je ne comprenais rien? Et si l’autre avait raison, dans un autre monde auquel je n’accède pas? » Ça débouche sur la paralysie complète, à l’opposé du génie, qui n’est effectif, n’existe, que par une production. Elle seule compte. Le reste, fumée. S’il faut pour l’obtenir « se considérer tripalement comme le plus important des mortels », croire à sa qualité (ou à son étoile) avant d’en avoir fait la preuve, eh bien, je prends le pari que tous les grands hommes ont vécu dans cette “illusion de jeunesse”, et l’ont transmuée en vérité, en refusant de se laisser niveler. Pour chacun d’eux, objecteras-tu, on compte cent mille médiocres prétentieux? D’abord, aucune importance, tu le dis toi-même : ils ne comptent pas. Et puis, leur self-confidence était-elle de bon aloi? J’en doute… mais sans faire d’elle, comme toi de l’Écoute, la SEULE condition de l’intelligence. 

    Mais j’arrête là un cours dont tu n’as pas besoin, d’ailleurs nous sommes d’accord sur l’essentiel : « Il n’y a qu’un moyen de connaître SON potentiel, c’est de RÉUSSIR » : j’ajoute cette sentence à mon thésaurus personnel. Nous divergeons seulement sur les moyens, et encore… hum. Je persiste à attendre de toi un autre son de cloche que celui du bourdon de France-Culture!

    … et t’embrasse quand même.

       Candice

 

De Rancœurs (rancœurs@vidgamail.com) à Candice (caninakhan@phemail.com)

Le 21 février 2000, 11h12

Objet : Tahâfut-al-Tahâfut

 

    Toi au moins tu prêches d’exemple, et j’avais tort de m’inquiéter de ta méthodologie : la thèse s’embarrasse si peu du corpus qu’on peut s’étonner que tu recoures encore à un semblant d’enquête! Au lieu d’affecter de m’interviewer, écris donc toi-même ce que j’ai censuré, et communique-moi la liste, j’ai besoin de divertissement comme un autre. Mais ou je me trompe, ou cette thèse, mangée à son tour par la brume, laisse place… je ne sais : à un recruteur du F.N. ou de quelque groupuscule nazillard? Ce serait trop énorme, et ma narine inexperte capterait plutôt comme une fragrance de MRAP ou de LICRA… Gare le portefeuille! Quand bien même je serais aussi raciste que le Ku-Klux-Klan, je tiens trop à mes économies pour laisser sa chance à une sincérité ruineuse. Tout au plus risquerai-je que je regrette que des convictions comme celles que tu affiches n’aient pas droit à l’expression. Mais comment exiger que tous les mots soient permis, quand, dans l’ombre tapie, une armada de brutes fort inapte à les manier s’apprête à les traduire en actes?

    Sache, ma belle Aryenne, que tu ne m’as pas ébranlé d’un millimètre, et que je me sens prêt à reprendre inchangé mon prône larmoyant. Notre société ne me paraît pas une telle réussite, et quand j’écoute les récitals de xylophone de nos politiciens, les râles d’extase de la tontonnolâtrie, ou les pubs qui nous invitent à être originaux en achetant la même saloperie que tous les autres, je ne trouve pas dans nos accomplissements de quoi mépriser imams ou griots. Bambola-Bragamance se ruine peut-être en caisses de Chivas et en belles bagnoles pour ministres ventripotents, mais nous sommes ici quelques-uns à n’envisager pas mieux pour nos vieux jours qu’une retraite dans un monastère tibétain, même si nous sommes trop pétochards pour sauter le pas. Ceci compense largement cela.

    Ton réquisitoire contre l’Écoute requiert d’être… écouté : contradiction interne. Oh! Il ne manque pas de force! Je relisais distraitement hier, pour trouver le sommeil, le bouquin de Gide sur Dostoïevsky, dont la pauvreté illustre à merveille l’insignifiance d’une écoute trop ouverte : rien dans ce robinet d’eau tiède, rien de ce qui fait la pertinence, la nécessité de l’auteur présenté, Gide connaît tout le monde, ne rejette personne… sauf le manusse de Proust. Au total, il ne découvre que des tocards, change en tocards ceux qu’on a découverts pour lui, et bronche face à un indiscutable génie. Voilà bien de l’écoute perdue, et un type qui aurait mieux fait d’aller un peu plus dans son sens. Et je t’accorde qu’écouter tout le monde, c’est dilapider son temps : ou l’on se refuse le sens préalable, et l’on tourne comme une girouette au gré des avis; ou, c’est le plus ordinaire, on reste inébranlable sur l’essentiel, on n’oit que des détails, et les interlocuteurs restent parallèles. Les gens qui discutent beaucoup n’ont pas tort de conclure que la discussion n’est fructifère que lorsque ceux qui s’y adonnent professent la même opinion! Ajoutons qu’il est parfaitement exact que je ne dialogue jamais qu’avec moi-même, et aborde l’autre de chair comme lui m’aborde : avec la quasi-certitude d’avoir réponse à tout.

    Assurément, le “génie” qui se propose d’inventer le monde ne ferait que s’empêtrer dans le rappel des représentations les plus plates, un Lovecraft a raison de “fermer bien l’huis sur lui” pour laisser se déchaîner les monstres, et presque tous, à des stades divers, de fermer les importations qui menaceraient leur Weltanschauung schizoïde. N’empêche que c’est se limiter, et qu’entre les Fols et les robinets d’eau tiède, il y a place pour une pincée de géants, qui ne refusent rien du réel, et me polissent de nouvelles lunettes pour le lire. Ce n’est pas le réel que tu repousses, me diras-tu, mais seulement des opinions divergentes? Comment ne pas voir qu’elles en font partie, qu’il faut en tenir et rendre compte, car c’est par leur canal que le réel nous arrive, et à les former qu’il sert d’abord? Je trouve particulièrement malheureux l’exemple que tu donnes de Napoléon, qui n’aurait pas achevé son existence dans une île de rêve s’il n’avait commis quelques erreurs monumentales, contre lesquelles on l’avait copieusement mis en garde; mais ce Monsieur n’aimait pas les remontrances, ni les simples conseils, et la croyance infantile en son étoile, en son infaillibilité, l’a mené assez loin, je t’en donne acte! Je m’en fous, note bien, mais la France ne s’est jamais relevée de cette gloarieuse saignée. Quand Napoléon refuse de rendre ses principautés au pape (pour en filer une… à Talleyrand!) et prend le risque, en se faisant buller, de changer chaque Espagnol en ennemi, il procède, espérons, à une évaluation des probabilités, fondée sur une étude du réel, elle-même véhiculée pour la plus grande part par les opinions de divers envoyés, qu’il faut bien écouter, si peu que ce soit. On n’y coupe pas, quand c’est à agir qu’on s’applique, ou la baffe des faits vous fait valser. Quand on se borne au baratin, il est moins périlleux de refuser d’écouter, et de privilégier résolument la dictée de l’intuition… Mais enfin c’est de moi, entre autres, qu’est censée parler ta thèse, et pour le moment je ne m’y reconnais pas. Admettons qu’il soit fastidieux de convaincre l’interlocuteur qu’il se leurre; que prouverait, d’ailleurs, qu’il en convînt? C’est qu’il trouverait l’aveu confortable, donc qu’il aurait pire à cacher… Mais si ta caracole paranoïaque ne convainc personne, il se pourrait bien que tu n’aies parlé que de toi… la SEULE à y voir clair! Tu sais où ça mène? Je te porterai des oranges… Mais pardon, je te flatte , je censure… que ce que selon toi nous censurons tous, c’est le cri du primitif : « Je suis un Homme, et les autres n’en sont pas! »

    Un collyre de bave sur tes beaux yeux…

    Gilles

 

De Rancœurs (rancœurs@vidgamail.com) à Candice (caninakhan@phemail.com)

Le 5 mars 2000, 5h23

Objet : Hélas

 

    Je persiste tout de même à espérer une réponse… Pas au point de le dire deux fois! J’ai procédé aux recherches promises, et elles ne sont pas infructueuses, mais c’est bien le moins que j’attende, pour en exposer les résultats, de savoir s’il y a toujours une âme-sœur au bout des fils.

 

 

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