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Noyau de nuit

[« Une secte! » - Projet d'infiltration]

18 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #La mort est mon berger (1996)

 

 « Les saligauds !

– C'est de bonne guerre : on ne leur a rien lâché non plus.

– Mais ils ne sont pas sur le coup !

– Raison de plus. Mais c'est à voir. Y avait le feu juste avant ton arrivée, et une espèce de loque blanche sous enveloppe plastique qu'ils semblaient bien pressés de planquer… Sans trace brune, à première vue ! Mais je jurerais que le Moulin les intéressait avant, pour d'autres raisons sans doute : ils avaient l'air plutôt avides. Putain, huit heures ! On va se faire incendier, si Torpidon est toujours au poste.

– J'ai fait prévenir.

– Bravo ! Moi, j'ai joué au con deux bonnes heures, mais j'enrageais un tantinet en me demandant quand ce mécano de mes deux allait penser à la durit d'essence ! Après quoi, il a bien fallu bigophoner au garagiste pour la couverture, et puis me retaper une petite séance avec la nénette… Remarque, là, je boude mon plaisir.

– Bof, c'est pas mon type.

– T'as bien de la chance d'avoir un type, et de le connaître.

– De la chance… Ça rétrécit l'univers.

– Au moins, tu sais qui tu désires, tu ne te poses pas de question… Mais je te parlais pas seulement de sa frimousse, tu sais. J'ai frimé au mec méga-ébranlé, pour préserver l'avenir, mais j'avais pas besoin d'en rajouter beaucoup : c'est vrai qu'elle me séduit, sa morale ; et puis, elle prêche d'exemple, c'est un prospectus vivant.

– J'avoue qu'elle est gentille comme tout. Bon, sectaire, naturellement…

– Ou toi.

– On va pas discuter de ça sur le perron de la gendarmerie ! Toutes ces grandes Hidées, de toute façon, c'est toujours la même chose…

– "À mesure qu'on a plus d'esprit on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent point de différence entre les hommes."

– J'aurais plutôt dit le contraire !

– Preuve ! Et puis, bon, je ne vois pas que l'universalité d'une pensée la condamne… Moi, ces gens me questionnent – cette petite du moins.

– Pas moi. Mais s'ils sont tels qu'ils apparaissent, je vois pas ce qu'on pourrait leur reprocher.

– Elle te l'a dit.

– Des phrases apprises !

– Oh, merde ! Enfin t'es d'accord sur ce point : c'est une enquête sans objet ?

– C'est ce que je pensais jusqu'au moment de tomber nez-à-nez avec toi là-bas : le choc !

– Je te remercie de ne pas m'avoir cassé.

– Tu rigoles ? C'est la moindre des choses !

– Mais non, c'est très beau, grand innocent !

– Sur le coup, ç'a été moins une… Mais je me suis repris.

– Oui, la cuisine de pépé, ça passait… Du reste, t'es peut-être dans le vrai d'y être allé à découvert… Au moins, je suppose que t'as pu poser tes questions…

– Pas toi ?

– Non, je joue le coup par la bande… Alors, ton suicidaire les fréquentait ?

– L'une d'entre eux, du moins. Et qui en plus s'offre un congé à leur insu… Mais puisqu'on va au rapport…

– D'accord ! Tu sais, j'essayais pas de te tirer les vers du tarin ! Si tu me connaissais mieux, tu saurais que je joue le jeu, comme Sherlock Holmes… »

 

***

 

 

 « Une secte ! Vous voyez que j'ai eu le nez creux !

– Monsieur le Commissaire, on ne peut pas trouver plus pur que ces gens-là.

– Je dois dire, Monsieur le Commissaire, qu'on leur donnerait le bon Dieu sans confession.

– Le bon Dieu, je ne l'ai pas sur moi ; mais je vous fiche mon billet qu'on obtiendra la confession ! Balandier est jeune ; mais vous, Buû, je vous aurais cru plus averti! Si vous prétendez juger une secte aux principes dont elle se réclame, au baratin avec lequel elle emmièle les gogos, il vous faut retourner à l'école, mon petit vieux !

– Je ne sais pas ce que c'est qu'une secte

– Eh bien, renseignez-vous !

Je ne sais pas ce que c'est qu'une secte, et jusqu'à présent il n'est pas établi que vous le sachiez vous-même, mais

– Je vais vous le dire : c'est une organisation à but lucratif ou hégémonique qui parvient à ses fins en vendant du bonheur illusoire à ses adeptes !

– Je ne trouve pas que cette définition justifie un ton si triomphal : tous les groupes de mots m'y paraissent contestables ; et notamment, je ne distingue pas trop quelle différence vous faites entre le bonheur et l'illusion du bonheur…

– Vous avez déjà essayé l'héroïne, Buû ?

– Mais, euh, enfin…

– Ce n'est pas un interrogatoire ! Moi, oui, l'héro, la coke, l'acide, j'ai tout essayé !

– Vous choquez Balandier, Monsieur le Commissaire !

– Vous êtes choqué, Balandier ?

– Mais pas du tout ! Au contraire ! Il faut connaître ce que l'on combat !

– Ah ah ah ! Well said, Ben ! J'ai justement travaillé aux stups, Messieurs. Et pour répondre à votre question, Buû, vous pensez que c'est un bonheur véritable qu'on trouve dans la drogue ?

– Oui. Pour un temps.

– Pour un temps bref, avant les doses croissantes, la retombée du manque, la mort ! Eh bien, les sectes délivrent une drogue psychique ! Tant qu'on est abruti, ça va, encore qu'on soit inutile aux autres ! Mais quand vient le réveil…

– C'est de la rhétorique, votre comparaison.

– Il vous plaît à dire. J'ai connu des gens plus lessivés par Hare Krishna que par la chnouf !

– Possible. Reste que c'est vous qui prononcez le mot "secte" au sujet de cette communauté ! Le peu que j'ai vu là-bas est resplendissant de santé, de beauté, de bonheur réel !

Le peu, vous l'avez dit ! Ne vous faites pas plus idiot que vous ne l'êtes ! On a ici deux tentatives de suicide en deux jours, vous remontez tous deux indépendamment la filière, et… vous vous retrouvez dans ce trou ! Est-ce qu'ils l'ont revendiqué, dans leur doctrine pure et belle, de pousser les adolescents dans le vide ?

– Non. Mais j'ai mon idée là-dessus.

– Tout ouïe.

– Et je suis sûr que Balandier a la même. Vas-y, mon vieux, je m'efface.

– Euh non, c'est un fait que… Enfin…

– Accouchez, Balandier, je vais pas vous bouffer !

– Non, enfin, euh… rien de précis.

– Il est bientôt neuf heures, Buû ! Vous ne rencontrez peut-être pas votre thérapeute ce soir, mais moi j'aimerais retrouver ma femme avant qu'elle soit endormie ! Vous ferez des niches à votre petit camarade un autre jour.

– Eh bien, j'avoue qu'ils sont – enfin, qu'elle est, cette petite, assez réticente au sujet de la mort. Ma mort, c'est ta mort, bon, une brindille de moins dans la grande prairie, ça ne change pas le paysage. Moi je veux bien, mais face au gouffre, je crains qu'une pétoche animale et tout ce qu'il y a d'individualiste se réveille… Alors je me demande si, au nom de leurs principes mêmes – croire délibérément le plus agréable, quand il n'y a pas de fait pour s'y opposer – ils n'auraient pas, juchés sur les N.D.E. et peut-être un pot-pourri de croyances empruntées à droite et à gauche, mis au point une vision idyllique de l'au-delà – assez convaincante pour inciter au voyage les adeptes et sympathisants – surtout si le suicide est licite, comme chez les stoïciens.

– Et ça vous paraît sain ?

– Pas vraiment pour la production économique et l'avenir démographique du pays. Mais si ces gens ont les pieds dans leurs pompes, s'ils parviennent à envisager avec sérénité, que dis-je ? à désirer ce que moi je ne puis regarder fixement…

– À le faire désirer aux autres !

– C'est pas un délit…

– Mais comment ? Déstabilisation mentale ! Et votre Piron est mineur ! Potassez votre Code ! D'ailleurs, on est occupé à le refondre, et je peux vous confier en avant-première que d'ici quelques années ce genre de manipulation coûtera beaucoup plus gros.

– En tout cas, pour le but lucratif ou hégémonique, vous repasserez – à moins qu'ils ne règnent sur un peuple de zombies…

– Ça, c'est à voir. Pour le moment, vous élucubrez sans savoir qui tire les ficelles.

– Parce que vous supposez qu'il y a nécessairement quelqu'un ? Cette petite Rébecca se considère comme libre, et ce n'est pas une idiote ! Elle a déjà quitté deux fois la communauté, et personne n'a cherché à la retenir.

– Buû ! Je n'ai aucune idée préconçue ! Je sais seulement comment ça se passe d'habitude, et j'estime nécessaire d'en apprendre davantage, avant de délivrer un certificat Persil à une secte, je maintiens le mot, ne vous en déplaise, et de la laisser s'implanter dans le coin pour prêcher à nos paysans et à leurs enfants les charmes de la tombe ! D'ailleurs, si vous avez vu juste, et si la Gendarmerie est sur l'affaire, je crois qu'il y va de l'honûr de ne pas se la laisser souffler ! Il n'est pas question d'obtenir matière à condamnation à tout prix, sur ce point vous pouvez me faire crédit, si je faisais collection de crânes, je serais resté à Paris ! Mais il nous incombe de protéger les citoyens, et de savoir de quoi il retourne ! Possible que les choses soient aussi simples que vous les présentez, mais on ne boucle pas une enquête en sirotant du thé une heure ou deux avec une minette dont vous êtes resté à ce point ébloui que je pourrais vous la décrire rien qu'en vous scrutant la prunelle ! Vous me décevez, mon vieux ! Vous n'avez donc pas envie de savoir ?

– Mais si. Et pour le comment, j'ai ma petite idée…

– Encore une ! Décidément, ça fuse, le vendredi soir ! Allez-y, je suis preneur…

– Ils ne savent pas que je suis flic. Et ils ne mettent guère le nez dehors… Je crois que si je me présentais là-bas comme apprenti-adepte, je serais reçu à bras ouverts : comme ça, je pourrais me mêler à eux, et en ouvrant l'œil nuit et jour, s'il y a une part ésotérique, ce serait bien le diable qu'elle m'échappe.

– Infiltration accordée. Excellent. La chiasse, c'est qu'à présent les gendarmes vous connaissent. Et si vous passez leur recommander la discrétion, ils vont s'empresser de vous casser la baraque, d'autant que vous opéreriez sur leur district. Remarquez, il suffirait d'une séance de coupe-tifs pour vous métamorphoser complètement…

– Oui… mais là-bas, elle paraîtrait louche… Tant qu'ils ne procéderont pas à une rafle générale, je pourrai toujours m'arranger pour rester en seconde ligne…

– Surtout que s'il y a quelque chose à observer, c'est sûrement la nuit et à l'intérieur ! Oui, oui, ça me paraît un bon plan… Au moins, s'ils arrivent à vous retourner, on aura une notion de leurs ressources !

– Je précise toutefois que Balandier, tout poulaga qu'il s'était présenté, a été invité à rejoindre leurs rangs dans l'heure…

– Oui, mais ils seraient en éveil, et lui, le pauvre, plutôt gêné pour fureter ! Je veux pas qu'on me le tue si tôt ! Sa maman ne me le pardonnerait pas… Sans offense, Balandier ! De toute façon, vous aurez assez à faire à retrouver votre postière…

– Il faudra sans doute que j'aille la chercher là-bas…

– Pas de problème ! Mais ne cherchez pas le contact avec Buû ! Il aura bien assez d'occasions de se griller lui-même… Qu'est-ce que vous comptez bidonner, comme métier ?

– Comme je ne sais rien faire, j'avais pensé à prof…

– À un mois des vacances ? Hou là là, ça passerait mal…

– Garçon-coiffeur, peut-être ?

– Bon, ça va, la déconnanche, l'heure tourne… Écoutez, dites clerc de notaire, chez maître Luciaux, C-I-A-U-X : je lui en toucherai un mot, sans explication : il saura simplement qu'en cas de vérification, il a dans son étude un Buû en congé pour une semaine…

– Mais j'y connais quedalle !

– Eh bien, vous renâclerez à parler boulot, c'est tout ! De toute façon, si vous allez là-bas chercher une vallée de roses, c'est que vous ne la trouvez pas dans votre vie professionnelle !

– M'étonnerait qu'ils me demandent quoi que ce soit, d'ailleurs…

– Mieux vaut disposer d'une position de repli ! Bon, Messieurs, on ne s'est pas tout dit, mais assez pour couper au brifinge du matin. Continuez chacun dans votre voie, et tenez-moi au courant ! Vous, Balandier, sans problème, régulièrement. Vous, Buû, dès que possible ! Et tenez, accompagnez-moi donc chez moi, je ne vous invite pas à bouffer, notez bien, mais je dois avoir un peu de doc sur les sectes… Vous me paraissez fantastiquement ignare sur le sujet, et j'aime bien discuter d'égal à égal ! »

 

***

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