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Noyau de nuit

[Un rai d'optimisme]

23 Janvier 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #La mort est mon berger (1996)

ÉPILOGUE PROVISOIRE

 

 

 

 « Oh, je n'y suis pour rien ! C'est un des commanditaires qui a craqué. D'où interrogatoire musclé de ceux qui profitaient des disparitions. Ceux qui géraient le fric. On s'était bien inquiété des bénéficiaires des testaments, mais c'était idiot à court terme, puisque les corps n'étaient pas destinés à reparaître. Probable que c'est une entreprise de bonne taille, avec des comptoirs autrement rentables que votre minable échoppe du Moulin. On passe au peigne les propriétés de Delbouille, mais sans résultat pour le moment, et comme lui s'est volatilisé…

– Il avait été prévenu ?

– Ou bien il n'était lui-même qu'un maillon, qu'on a cassé par précaution.

– Francis…

– Oh, tu penses ! En cronge, peut-être…

– Et il faisait ça pour de l'argent.

– Ça me paraît le plus simple à concevoir. Un peu pour le plaisir, qui sait ? Possible aussi qu'il ait sauté sur ce moyen de faire survivre la communauté, ce serait bien le plus troublant.

– C'est affreux.

– Enfin, tout est relatif. Ses victimes n'ont pas souffert, elles n'ont pas vu approcher la mort… Je parierais qu'elles se sont endormies béates ! Dans un système cohérent qui ne pénaliserait que les atteintes au bonheur, ce genre d'assassinat ferait figure de peccadille ! Il leur a fait moins de mal qu'on n'en cause à un gamin en le calottant, à une vieille en lui fauchant son porte-monnaie, à un purotin en le faisant saliver devant des denrées qu'il ne pourra jamais acquérir… Aucun mal, au fond, si tu prends du champ. Il leur a rendu service – sans les consulter, mais ce léger défaut était inhérent au service rendu. Possible qu'il ait vu son job comme ça, on peut lui accorder le bénéfice du doute. En tout cas, je me sens plus d'indulgence pour lui que pour un marchand de canons.

– C'est la dissimulation que je trouve affreuse.

– Elle était nécessaire. Et elle ne manque pas de grandeur.

– Ça t'est facile, le détachement. Mais c'était le plus pondéré de nous tous ! On aurait dit que la vérité parlait par sa bouche ! Et il mentait tout le temps.

– Pourquoi tout le temps ? Il avait son souterrain, comme tout le monde.

– Comme tout le monde…

Comme tout le monde… Tant qu'il y aura des interdits et un ego ! »

    Ouais. Des interdits comme ceux-là, on est pas près d'en voir le bout… et de l'ego, donc ! Rébecca regarde une grosse mouche pomper une goutte sur la table. Dehors, le plein jour ripoline la façade de la prison… la façade externe ! On s'habituait à l'intérieur, mais à cette saison on est mieux dehors…

 « Ils ont gardé Tsang, Dany et Bertrand ?

– C'était le moins. Le connard s'accroche ferme à son idée de complicité. Et il faut bien avouer que la manière dont ce pauvre Balandier s'est flanqué sous le pont demeure le point aveugle. Que précisément Francis l'ait trouvé, qu'il l'ait traîné seul jusqu'à sa bagnole, et qu'il soit revenu à pied, c'est pas impossible, mais un peu dur à mâcher. D'ailleurs, méfie-toi : les élargis ne sont pas hors de cause, et au minimum c'est de la non-assistance ! Cela dit, je vois pas quelle preuve on pourrait apporter… Le collègue va mieux, paraît-il, mais ça m'étonnerait qu'il ait grand-chose à raconter s'il se réveille…

– Ils n'y sont pour rien ! Et Francis non plus.

– Même tard dans la nuit ? Cette fois, tu manques de conviction.

– Ça m'étonnerait qu'elle me revienne.

– Mais si, pourquoi ? À condition qu'elle se circonscrive à toi-même. Les autres sont capables de tout.

– C'est consolant.

– On n'en meurt pas. Peut-être qu'on devrait… Remarque, je dis le point aveugle par habitude, mais il ne faut pas y regarder de trop près. Il y a aussi un suicide qui n'est pas clair.

– Celui de la femme ?

– Non, pourquoi ? Je trouve ça très chouette qu'elle ne l'ait pas laissé partir seul.

Pæte, non dolet !

– Oui… encore qu'Arria soit admirable, si tu veux, mais dans le cadre d'une certaine sottise institutionnelle : la femme doit suivre son mari, gnagnagna, à l'occasion en le précédant… Là, je pense qu'ils étaient associés d'égale à égal dans la même entreprise absurde… et dans le même désespoir. J'ignore s'il lui a tout raconté, s'il lui a fait lire ses aveux avant l'ultime instant, ça m'étonnerait…

– Mentir, même là !

– On n'en sort pas : la vérité aurait été douloureuse, et les aurait dressés l'un contre l'autre, alors qu'ils ont pris l'astronef overdose ensemble et la main dans la main.

– On dirait que tu les envies.

– Un peu ! Alors que vos chers Envolés, je reste froid. Et que le pépé pendu par les pieds, j'ai beau faire, j'arrive pas à l'intégrer : c'est vraiment la seule verrue inhumaine de cette histoire : ça paraît sans raison, et ça ne mène à rien…

– Son souterrain à lui.

– Réfractaire à la lumière. »

    La mouche est toujours attablée à sa goutte. Un bruit de conversation dehors… et Marc, Gaëlle, Pascale, Lin, François, John, Dominique et Nonore s'offrent en devanture.

 « Les voilà. Je vais te laisser…

– Tu vas repartir avec eux ?

– Ben oui. Comme tu le dis toi-même, on n'a pas à se laisser entamer par une bavure. D'ailleurs, à leur manière, les menteurs témoignent de la vérité. »

    Le voilà bien rêveur, tout à coup. Est-ce que tu aurais autre chose à me proposer ? Dis-le ! Mais dis-le donc ! Si tu dis un mot, je reste avec toi.

 « Eh bien adieu – au revoir. Envoyez-moi votre nouvelle adresse, on ne sait jamais.

– On ne sait jamais. »

    Un peu lourdingue, la fin. On recommence ? Ah non, c'est écrit, c'est Écrit.

 

***

 

 

 « Non ??

– Mais si.

– T'avais repris le volant avec le crâne en bouillie ?

– À dire vrai, mes souvenirs sont flous. Ça n'a d'ailleurs pas grande importance.

– Moi, je connais des gens que ça va intéresser.

– Des gens obnubilés par l'anecdotique.

– Euh, oui, peut-être… Et à part ça, ça va ?

– À merveille, mon vieux ! Il paraît que Torpidon est canné ?

– Ben oui. Overdose d'héroïne.

– Je le savais. Le veinard !

– Tu trouves ? Pas dit qu'une overdose, ce soit le pied fou.

– Non, mais la mort, la Mort ! Ah, mon vieux, quel voyage ! Que c'est triste de revenir !

– Ah ?

– Fantastique ! Si tu savais ! Je vous ai vus, tous, vibrionner à droite et à gauche, pendant ces quelques heures…

– Trois semaines.

– Trois semaines pour toi. Mais de là-haut, tu sais…

– Ah bon ?

– Je me suis envolé, Envolé au-dessus de ce pont ! Je me voyais, le nez penché sur mon volant… C'était la nuit, et pourtant on se serait cru en plein jour !

– Décorporation, première étape.

– Première étape, tu ne crois pas si bien dire ! Après quoi, j'ai plongé dans un souterrain, obscur, avec des morts partout, des catacombes anciennes… Il y en avait de tous les âges…

– Les boules.

– Et puis j'ai débouché dans la Lumière ! Enfin, je te dis Lumière, j'ai pas de mots : Lumière, Bonheur, Bonté, Vérité, c'est un amalgame qui défie toute description !

– Ça s'entend.

– J'ai rencontré tout le monde ! Ma grand-mère, que j'ai jamais connue, qui pleurait de joie ! Et puis Raymond, Françoise !…

– J'les connais pas.

– Et Torpidon, avec sa bergère !

– Y avait personne avec eux ?

– Y avait un monde fou ! Tous, je te dis ! Buû, écoute-moi bien : y a pas d'enfer !

– Personne de spécial, je v- Laisse tomber ! Il t'a pas fait de confidence ?

– Il m'a dit qu'il avait commis une erreur, mais qu'en fin de compte elle avait bien tourné. Quoi d'étonnant ? TOUT tourne bien.

– Pleurs de joie ! Et pourquoi t'es revenu, si c'était un tel enchantement ?

– Je voulais rester. Mais le berger m'a renvoyé. Paraît que j'avais pas fait mon temps.

– La tuile.

– C'est pas grave. La vie est belle, Buû, la mort est belle ! TOUT est beau. Il faut que tous le sachent.

– Si j'en juge par moi, ça va être coton de le leur enseigner. »

 

***

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