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Noyau de nuit

[Psychologie et hiérarchie]

27 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #La mort est mon berger (1996)

 

    Encore un faux espoir, une affaire à la mormoil. Aussi, c'était trop beau. Bon, le chauffeur est pas sûr-sûr, mais le vélo était là, devant la poste, l'antivol bien verrouillé : la petite pouffiasse a calté seule vers son destin ! Et sa culotte, qui sait depuis combien de temps elle reposait dans ce fossé ? C'est clair, c'est net, c'est râpé. Oh, on ne va pas s'en désoler ! Mais ce Duceppeaux m'énerve, à trouver tout naturel qu'on le ramène, comme si on faisait le taxi. Son soulagement me touche, mais il aurait pu s'excuser du temps qu'il nous a fait perdre, ou payer le repas, au moins ! Mais non, chacun son écot ! Petit bonhomme, ça n'a pas le geste ! Tiens, ça, c'est curieux, Dutilleul n'a pas encore ouvert ses volets ! À deux heures! Serait-il en voyage ? On s'arrêtera au retour… Il pourrait avoir des choses à nous dire ! Sa rencontre nocturne reste d'actualité… Parce que même si il faut faire une croix sur la disparition, il reste du louche à la louche ! Ce commissaire a beau jouer les naïfs, une poule dans le coin, non mais, il nous prend pour des caves ! n'empêche qu'il nous suivait, qu'il nous espionnait, et pas pour du beurre, ou c'est qu'il en vend ! Et cet accident qui vous démolit un crâne du côté où il ne touche pas au pare-brise, moi, en attendant qu'on me l'explique, je dis non, et j'ajoute : Moulin de Lascaux, sept kilomètres ! Une histoire de drogue ? Des chances ! Quoiqu'un dealer immobile, la nuit, sur les petits chemins… Un camé qui vagabonde ? Possible. Une goutte d'acide de trop… Mais comment les surveiller ? Une planque de nuit, je vois que ça pour récolter du consistant. Pas la prochaine, ma mère ! On sort d'en prendre… Allez, zou, v'là vot' ferme ! Dégagez !

 « Voilà. On va vous laisser. N'oubliez pas de descendre la bicyclette…

– Vous en prendrez bien un dernier ? »

    Un Coca ? Merci !

 « Pas aujourd'hui. On a tout de même à faire… »

    Ici ? La femme accourt, un papier à la main.

 « Jean-Louis ! Je savais pas où vous joindre ! Oh, vous avez trouvé son vélo ! Le facteur a apporté ça ce matin… »

    Pas une demande de rançon, la tronche est sèche. Une lettre de fifille, nature!

    Gagné, pour une fois. C'est laconique et tremblotant :  

                    Chère maman,

    Je vous demande pardon, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas trop, mais c'était pas une vie. Je veux réussir, et si je ne réussis pas, tant pis. Mais je réussirai.

    Le vélo est face à la poste.

                  Je vous embrasse.

                                     Ghislaine

 « Y avait la clef de l'antivol ! »

    Des économies de pinces… Bon, pas tout ça…

 « Eh bien, je ne vous dis pas que tout est bien qui finit bien ! Mais avouez que ç'aurait pu être pire !

– Ça, c'est sûr ! Eh ben… Merci pour le dérangement ! On vous a fait courir pour pas grand-chose.

– Ah, ç'aurait pas été de refus que cette lettre arrive un jour plus tôt ! Mais que voulez-vous ! C'est notre boulot, hein ! Allez, au revoir ! On se tient au courant ! »

    Et c'est Jardin, qui, au lieu de démarrer, se penche vers la fermière, et de sa plus miaulante voix :

 « Y a quelque chose qui ne va pas, Madame ?

– C'est l'écriture… Je suis pas ben sûre que ce soit la sienne. »

 

***

 

 

    Manque pas d'intuition, cézigue – d'intuition efféminée ! L'homme aux chats, aussi… ça fait plutôt vieille demoiselle ! Est-ce que je l'ai seulement jamais vu avec une fille ? Enfin, c'est son affaire, pourvu qu'il soit discret : on aurait vite fait de servir en corps de jeu de massacre ! Et discret, on peut dire qu'il n'y a pas à se plaindre : cette serrure, hier, cette bonne femme à l'instant, c'est rien si on veut, une brute ne le remarquerait même pas, et il faut avouer que j'ai mis le temps moi-même, mais Jardin n'intervient que quand il y est obligé, quand il n'y a pas d'autre recours, quand tous les autres ont bien montré leur insuffisance… Il ne se met pas en avant, oh que non, surprenant de la part d'un branleur, et même, au fond, d'un baiseur de combat ! Qu'est-ce qu'on cherche tous, sinon à la ramener ? Que lui, quand il la ramène, c'est contraint et forcé, et quand il roule les mécaniques, c'est… pour faire comme tout le monde, pour se mettre à notre portée ! Sacré nom, mais il se paie ma fiole en catiminette, c'est une insolence de ne pas chercher à se faire valoir devant le Chef ! Ou de chercher en lui passant la brosse, en le prenant pour un con ! Rien à lui reprocher, c'est de bonne guerre, c'est à moi de faire gaffe à ne pas assener des explications à un zouave qui si ça se trouve les connaît déjà et chantonne à l'intérieur : « Cause à mon cul, culotte de peau. » La Cour… Tiens, je vais lui tendre un piège.

    Comme la bagnole passe devant chez Dutilleul, Jardin ralentit, imperceptiblement, et jette à gauche un bref coup d'œil. Souris ne pipe jusqu'à la départementale : temps d'arrêt : gauche-Moulin, ou droite-bercail ? Le brigadier, feignant la cogitation :

 « On aurait peut-être dû rendre visite à ce vieux pirate…

– Oui, brigadier, les persiennes sont fermées, c'est pas naturel…

– Vous avez remarqué ça, et vous m'avez pas averti ?

– Oh, je me doutais bien que vous l'aviez remarqué le premier… Et au retour j'ai pas fait gaffe… Je pensais à la lettre… »

    Pas fait gaffe… Je t'ai vu, hypocrite ! Décidément, faut se méfier…

 « Et t'en pensais quoi ?

– Offf, rien de puissant… Le Petit Chaperon Rouge pouvait avoir des échantillons d'écriture dans son sac, et le Grand Méchant Loup aurait pu les imiter… ou bien le Petit Chaperon Rouge écrivait sous la dictée, et voulait qu'on s'en aperçoive, ou il était troublé…

– Ou la maman déraille.

– Ce serait plutôt ça. Puisque la fille est partie toute seule…

– Enfin, vaut mieux faire expertiser. L'imitation, ça se voit au microscope. »

    Toujours ruminant, Souris actionne la poignée-heurtoir de Dutilleul, deux fois, cinq fois, dix fois. Pas de réponse.

 « Merde. Ce coup-ci on peut pas vous demander de tirer votre fil de fer, à trois pas du village, alors qu'il a bien le droit d'être à la foire… C'est sûrement le cas… Pourtant, il sort pas souvent… Il est pas motorisé… »

    Pour acquit, le brigadier y va d'une dernière volée, agrémentée d'un aboi viril, mais contenu, pas y semer sa dignité.

 « Tant pis. L'ennui, c'est qu'il a pas le téléphone… Je vais y laisser un mot. »

    Calepin, griffonnage, demi-tour ; Jardin, au volant, se retrouve à gauche, paraît perplexe, et brusquement désigne la porte du vieux :

 « Regardez, Brigadier.

– Quoi donc ?

– On a tiré le papier. »

    Là, putain, fallait s'en aviser ! Juste un coin minuscule dépassait… Et encore, je me demande… Re-place à l'action !

 « Dutilleul, tonnerre ! Qu'est-ce que tu fabriques ? On sait que t'es là ! » »Rien. Même les oiseaux se sont tus. « Qu’est-ce que tu crains donc ? On vient pas t'arrêter ! »

    Souris s'apprête à renoncer derechef, quand une voix chevrotante lui arrive du cimetière :

 « Je peux pas vous ouvrir… Je suis malade…

– T'as fait venir un médecin ?

– Je peux me soigner tout seul.

– Tu sais, t'as pas besoin de mettre une cravate pour nous recevoir !

– Je peux pas. C'est contagieux.

– C'est-y qu't'aurais le Sida ? Comment qu't'as attrapé ça, depuis hier ?

– Une mauvaise conserve.

– Mais on peut en crever ! Allons, ouvre, fais pas l'andouille !

Foutez-moi la paix ! »

    Inhabituel au répertoire ! Le ton larmoyant atténue l'insulte, mais, devant Jardin, comment moins dire qu’« À ton aise ! Marine dans ton jus ! Si tu crois que c'est de ton âge de faire des caprices ! »

    D'aussi extravagants, d'ailleurs, l'âge ne fait rien à l'affaire ! Le silence retombe, et les deux gendarmes se prennent à témoin via les muets truchements qu'un battant cloche dans le district… « Mieux vaut mettre les bouts et revenir plus tard », chuchote Souris. « Drôle de réception ! Vous y croyez, vous, à sa maladie ?

– Pas plus que vous, brigadier. Il était ptêt occupé à débiter la fille en tranches dans sa cuisine. »

 

***

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