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Noyau de nuit

[Expertise psycho-stylistique]

1 Mars 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Quand se fissureront les parois du caveau (1996)

– Oui. À présent on est trois, c’est un peu tard pour vous descendre. Mais le tueur l’ignore… Cela dit, il y a tout à parier qu’il ignore tout de vous! Ce qui frappe, c’est que François a été éliminé après Anarchoz. Comme si l’assassin avait été incapable de prévoir le risque… Comme s’il avait ramassé son texte dans la poubelle du cimetière d’Erehwon il y a dix ans…

– Le famille, je vous dis! Les héritiers!

– Eh bien, faut voir! Un objectif, de toute façon : chercher des Trous. Lui ou ses proches. Pas si difficile : le nom est si insolite qu’il fait pseudo.

– Comme Buû.

– Un trait de plus en commun! Le comble, c’est qu’on se prénomme tous deux Serge… Bon… Aux armes! Une bouchée de blanquette… Putain! Froid, ça craint! Je passerai vous voir dans l’après-midi : vous pensez être rentré quand?

– Jsais pas. Cinq heures au plus tard. J’habite Li

– Je sais. J’ai fait la connaissance de votre épouse. À la revoyure! Je m’incline devant les parents et je file! Ne leur dites rien. Moins ils en sauront, moins ils auront d’ennuis. Vous ne savez pas si je peux trouver un taxi, ici?

– Un instant! » : Camille. « Il y a quelque chose que je ne comprends pas : que voulait le flic de ce matin? Qu’est-ce qu’il cherche? Pourquoi veut-il vous contrer? Pas pour protéger ce Trou, qui manifestement n’est rien…

– Je ne comprends pas plus que vous. L’hypothèse basse serait que le brillant Divisionnaire Damger [lettre à la poste! La grosse rougit et ne relève pas.] qui n’est chargé de rien et se morfond à Poitiers veuille me souffler l’enquête sous le nez, ce qui ne m’enquiquinerait que médiocrement. Mais toutes les conjectures sont permises : mes chers collègues ont pu repérer Trou mort ou vivant depuis longtemps, interroger eux-mêmes François avec les conséquences que nous connaissons… D’où consigne d’étouffement. L’assassinat de Dauriat pourrait être un crime politico-financier, et celui d’Anarchoz ne faire que brouiller la merde au chat : verrouillage à double tour! [Ah, ce que je mens bien! Elle me croit!] Je ne sais rien, ma pauvre, sinon que le chemin de la vérité passe par ce Trou… d’une aiguille.

– Et vous comptez le retrouver comment, si vous êtes obligé de cacher vos recherches?

– Je vais commencer par le Minitel.

– Et s’il est sur liste rouge?

– Pourquoi tout compliquer d’avance?

– Parce que je peux vous aider. Si un Trou en France est doté d’un numéro, même en liste rouge, je peux vous l’avoir dans l’après-midi.

– Vous bossez aux R.G.?

– Non, aux Télécom.

– Ouf. »

 

***

 

 « Allô! Allô! C’est infernal, bon Dieu!

– Brigade criminelle, j’écoute!

– Fritt? Ah ben, c’est pas trop tôt! Nuvulu à l’appareil. Le patron est là? Je peux pas le joindre sur sa ligne personnelle.

– Eh ben rassure-toi : t’es pas le seul.

– Il rentre quand?

– Aucune idée.

– Tant pis. Moi, dans deux heures.

– Des nouvelles pareilles… T’as pensé à mon souffle au cœur?

– J‘en ai une qui t’intéressera davantage : tu peux réintégrer tes foyers, mon vieux! Te reposer! Regarder le foot s’il y en a!

– Y en a pas.

– Oui, enfin, peu importe! Tiens-toi bien! Tu sais qui j’ai à côté de moi?

– Elle suce bien?

– Oh, tu me cours! Passe-moi quelqu’un de sérieux! JE-LE-TIENS, vieux!

– Qui ça?

– Non, là tu passes le mur du con! Et qui j’étais parti chercher, selon toi?

– Alors tu le tiens? Tiens tiens! Eh, les gars, y a Nuvulu qui le tient! »

    Écho discret d’une vaste hilarité… Quelque chose ne tourne pas rond.

 « Mais enfin, qu’est-ce qu’il y a? Vous êtes tous ivres?

– On fête la victoire, bleubite! C’est nous qu’on le tient! Ça fait une heure qu’il a avoué! Et sans se faire prier! »

 

***

 

 « Allô?

– Monsieuye Leclercque?

– Oui?

– Brigade de Répression du banditisme! Un petit renseignement : pourriez-vous nous dire où vous vous trouviez hier samedi, entre 21 et 22 heures?

– … Non.

– Félicitations! Belle résistance au Pouvoir! Vingt sur vingt au test de civisme!

– Crétin! J’attends ton appel depuis 36 heures.

– Ouais… sauf au moment opportun!

– Je n’en suis pas à me priver de toute fonction naturelle et sociale sine die! Mais intrigué tout de même, dusses-tu t’en enorgueillir à l’excès! Raconte! Explique!

– Trop long pour mes unités restantes, et couvert par le secret professionnel!

– Juste le rapport entre ce type, ou ces types, et toi!

Ces types?

– Toi d’abord.

– Fais pas l’œuf, merde! Ma carte est presque épuisée.

– Raison de plus pour ne pas consommer le temps en protestations – ou en blagues de collégien!

– Mais je ne sais rien! C’est mon nom qui t’intrigue? Le type a fait main basse dessus par l’intermédiaire d’un copain! Je le cherche! Je te rédigerai le tout quand je l’aurai trouvé!

– Tu sais, ça dure longtemps, une unité…

– Mais meeerde! Je suis en province! À Poitiers!

– Eh ben, on le dit!

– Ha ha ha. Bon, t’as fini ton numéro? Je vais te gâter tes effets, moi!

– Chiche!

– Ah oui? Eh bien, la voilà, ta révélation-massue : l’auteur des textes n’est pas l’auteur des lettres.

– Parce qu’une lettre, c’est pas un texte?

– Ça te réussit pas, le dimanche!

– Allez, sérieux, je tiens mon papier… De lettre à lettre, 87,37% de corrélation : donc quasi-certitude, attendu leur brève étendue; des lettres prises ensemble à l’espèce de… conte moral, ou comparaison romancée, on tombe à 51,76, ce qui est bien faible, attendu la similitude thématique.

– Oui, mais les genres sont différents.

– Voilà! Ça restreint gravement la portée des conclusions, et plus encore lorsqu’on aborde les alexandrins, dont les contraintes sont drastiques, et qui d’ailleurs sont trop peu nombreux. Des vers de Verlaine à sa prose la corrélation tombe parfois sous 50%.

– Ce qui veut dire que ton truc ne marche pas.

– Ce qui veut dire que mon truc présente encore des lacunes que je travaille à combler. Ça t’intéresse quand même?

– Aboule.

– Eh bien, c’est curieux, des lettres aux quatrains, 68,17, pas trop mal, mais des doutes sont permis. De ces mêmes quatrains à Aaargh boum boum, si on le désigne par l’incipit

– Ouais ouais!

– 56,13! Soit à peine plus que

– Et entre morceaux de la nouvelle, t’as essayé?

– Ah non! Pourquoi, il y a des doutes? »

    Oui, sur ton Gustave de mes deux!

 « Non non. Alors en somme, les lettres sont du même homme, qui n’est probablement pas l’auteur de la nouvelle; quant à la chanson, elle est plus proche des lettres, mais on pencherait plutôt pour un troisième écrivain…

– Bon résumé du premier étage! Mais ça se complique un peu avec l’analyse caractérologique, vu que ces deux ou trois individus paraissent présenter des traits étrangement communs…

– L’inhibition.

– Tiens! Non, qu’est-ce qui te fait dire ça?

– Raté. Laisse, une simple impression, rien de sssscientifique…

– Je ne prétends pas moi-même à l’étiquette, mais enfin c’est troublant : Kugelhopf – sauce Gustave – est formel pour les trois : masochisme narcissique, l’agressivité des lettres apparaissant entre les lignes comme un simple leurre. Pour Boutonier, les quatre textes émanent d’un Révolté

– C’te bonne surprise!

– Le Révolté est une sous-classe des Dépendants, fais attention, ce n’est pas de la causerie de salon que je te sers là! Toutefois, je dois t’accorder qu’en ce qui concerne ce que tu appelles la nouvelle, les résultats sont très proches d’une bascule dans l’inhibition, très précisément à la charnière du Pessimiste et du Prisonnier volontaire…

– Kexéxa?

– Le Prisonnier volontaire accumule inconsciemment les obstacles pour s’empêcher d’agir; le Pessimiste se convainc que toute action ne peut que tourner mal.

– Et celui qui fait les deux?

– Eh bien, c’est précisément notre homme, ou nos hommes, en précisant toutefois que pour eux ou lui l’action ne se conçoit que contre : dimension Révolte, présente partout.

– Et cruellement absente partout ailleurs.

– Je continue?

– Va.

– Rivet-Desboires rejoint Kugelhopf en d’autres termes : le rapport à soi est résolument négatif. Concomitance avec Boutonier, du reste, car en somme la révolte se donne perdante, elle n’a pour objectif que de se châtier soi-même… Tu suis?

– En haletant.

– Alexandrovitch relève chez les trois le recours à la Collection Introspective, sous-catégorie de l’Introversion destinée évidemment à combler une carence infantile; Lévy-Chrème détecte un, deux ou trois “masturbateurs-nés”; et pour Heymans et Wiersma enfin, tes préférés, si je me souviens bien, c’est assez bizarre : les trois types sont différents, seule l’émotivité leur est commune : c’est un Nerveux qui écrit la nouvelle

– Lui aussi! Tu parles!

– Attends! La chanson est rimée tant bien que mal par un Sentimental, et les lettres sont le fait d’un Passionné… Seulement voilà : les chiffres d’activité et de retentissement sont très proches, à chaque fois la frontière n’est passée que de peu…

– Ça clignote! Ça clignote! Écoute, est-ce que ces textes pourraient être du même homme, à dix ou quinze ans d’intervalle?

– C’est ce que je me demande. Je pourrai te faire une réponse ferme dans un ou deux ans, je suis en train de mettre ça au point à partir de tout Hugo

Et l’imitation? Est-ce que l’auteur des lettres aurait pu s’inspirer, s’innutrer, des œuvres de l’autre, au point de se fabriquer, sinon un style, du moins un “style caractériel” semblable?

– À vue de nez, ça m’étonnerait fort. N’oublie pas que le même portrait psychologique peut rendre compte d’êtres très différents, et que »

    Schloc. Acheter une carte, rappeler? À quoi bon? Ramassis de conneries. Est-ce qu’il y croit lui-même? J’ignore quelle carence elle masque au juste, sa collection à lui, mais je me fais fort, avec les œuvres complètes de n’importe qui sous le coude, et après quinze jours de lecture intensive… Qu’a-t-on appris? Rien. Le thème des lettres n’occupe que la moitié de la nouvelle, d’où fréquence moindre de certains mots. Quant à la syntaxe, entre un monologue intérieur, un éreintage en forme et des vers de mirliton… Un des diagnostics colle, il y a plus d’une décennie d’écart, à part ça… Ces portraits psychologiques! Je me retrouve dans tous – défiguré. Révolte égale soumission, le tout inclus dans dépendance! Ben voyons! Puisque l’autre est là, n’est-ce pas… Chouette bagage pour aller camper à l’Institut! On vous appelle, on vous attend, chers grands amalgameurs! Assez ri. Quatre heures moins le quart. Chez Lhermitte pour interroger un peu ce faire-part, à supposer qu’il l’ait retrouvé. Encore du temps perdu : qu’est-ce que je vais détecter, même au microscope? Le mode d’impression ne prouve rien, dans un sens ni dans l’autre, pour un type que personne ne connaissait, les parents ont pu faire à l’économie : je devrais être sur la route de Neuvic : le lascar ne sera pas allé jusqu’à falsifier le caveau de famille… Pas de précipitation, bonhomme! Ça rassure, de dévorer du kilomètre, mais le rencard avec la grosse peut m’en dispenser… Dans la foulée, prendre Bernadette à sept heures… C’est fou ce qu’elle n’existe plus, celle-là! Vite séduit, vite consolé… et réciproquement, mon amour! Un joli coup tout de même, vite oublié… longtemps regretté, aux époques de manque! Renouer au moins pour la nuit suivante… Et puis un tour à la popote de Damger! Belle soirée! Un peu plus, ça craquerait. Ma collection à moi, ma dépendance… Pas le tout… Taxi! Merde, Ligugé, ça va encore douiller… Mais, mais… Non, attendez un instant… C’est elle, c’est ma bagnole! Ah, petit saligaud, t’as cru la planquer en la garant un peu plus loin!

 

***

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