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Noyau de nuit

[À l’ombre de la croix]

11 Octobre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Du plomb plein les urnes (1996)

 

ÉPILOGUE PROVISOIRE

 

 

 « Franchement, ce froc, ça vous change… je me sens tout timide… je ne sais plus sur quel ton vous parler, ni même comment vous appeler… père Buû, ça me fait tout drôle, merdre… 

 – Et l'appellation serait inexacte : je ne suis pas encore ordonné prêtre, il s'en faut… Ne vous cassez donc pas la tête! Votre rôle habituel conviendra très bien!

 – C'est sur le vôtre que je m'interroge.  J'ai d'abord cru à une planque; mais six mois, ça fait long… Vous avez quitté définitivement la police?

 – Disponibilité sans traitement, parfaitement admise dans la carrière d'un fonctionnaire… la suite n'est inscrite nulle part, que je sache… et vous, le tapin marche bien?

 – Routine… Quelques lumignons d'espoir, à plus ou moins long terme… qui aident à endurer un quotidien insipide…

 – D'espoir… de trottoirs plus chics?

 – Pas seulement. J'ai commencé un bouquin.

 – Bienvenue au club! Vous êtes combien? Deux millions? Trois?

 – Pas mes souvenirs d'enfance ou l'histoire de mes amours! Du solide. Du vendable.

 – Une petite chronique du terrorisme limonnois?

 – Dans le mille!

 – Histoire officielle, naturellement… avec une pincée de superstition! Style Le clodo démoniaque ou La colline maudite?

 – Ça dépend un peu de vous…

 – Je me doutais bien que votre visite était intéressée… Vous vous serez tapé une messe pour rien.

 – Et une messe de Requiem, en plus! En arrivant, j'étais persuadé que c'était vous qu'on enterrait… un coup d'intuition! Et puis j'ai fini par vous reconnaître au chœur : ce crâne rasé, ça déroute!

 – On n'oserait pas me dessouder ici… Non, c'est à un vieux moine que nous chantions Farewell pépère… un vieux moine très éprouvé dans ses affections ces derniers temps… le directeur de conscience de Ludovic de Bèzemin.

 – Je comprends.

 – Vous êtes sûr?

 – Même ses parents ont dû se rendre à l'évidence.

 – À l'évidence de l'inutilité de leurs efforts. Ce garçon-là était coupable comme vous et moi – enfin, comme vous, si ça vous écorche moins l'oreille…

 – Vous savez que Magloire s'en est tiré?

 – Raccourci savoureux! Il va bien?

 – Il paraît qu'il remarche, mais que le cerveau cafouille un peu…

 – Plus qu'avant?

 – L'histoire ne le dit pas!

 – Et elle dit toujours qu'un clochard sans un avait envoyé les billets coupés?

 – Vous savez bien ce que j'en pense.

 – Et que vous pouvez vous brosser pour obtenir confirmation! Ça ne vous paraît pas bizarre qu'on ait trouvé chez moi une matrice fausse?

 – Je vous crois assez malin pour l'avoir glissée vous-même dans un coin à tout hasard.

 – Si vous appelez ça malin… En tout cas, c'est symptomatique : vous acceptez la culpabilité du tandem infernal sauf sur ce point précis! Moi, cette invraisemblance me ferait douter de tout le reste… Si l'on tripatouille sur un point, c'est qu'on peut tout tripatouiller!

 – C'est lui qui avait tué son pote. Ça, c'est certain.

 – Ah bon?

 – J'ai bourré la gueule d'un agent qui a tout entendu à travers la porte, et qui a participé aux recherches immédiatement après.

 – Encore un témoignage! Il n'a rien entendu d'autre?

 – Non, mais…

 – Possible que ce soit pour ça qu'on a facilement convaincu Robert d'endosser le reste! Possible! Mais je n'en crois rien. De toute façon, on ne pouvait pas lui faire confiance… Vous ne supposez tout de même pas qu'il se soit vraiment suicidé?

 – Que voulez-vous que j'en sache?

 – Il était seul dans sa cellule?

 – C'est ce qu'on a prétendu.

 – Ils ont eu peur qu'il revienne sur ses dépositions, ils ont trouvé plus économique de l'éliminer.

 – Ça finira par percer.

 – Le jour du jugement dernier! Cette version officielle n'est pas plus absurde que cent autres qu'on avale sans broncher, parce qu'on n'a pas le plus petit fait pour les contester. Elle n'est trouble que parce qu'on connaît l'histoire d'un peu plus près! Si on enquêtait à Cannes, à Bordeaux, à Marseille, c'est là-bas qu'on douterait, et les affaires de Limonne paraîtraient limpides! Qu'est-ce que le temps pourrait bien rajouter à l'affaire, sinon des couches de vernis sur la mystification?

 – Un jour, les rapports top secret sortiront des archives! 

 – À supposer qu'il y en ait. Ces choses-là se passent dans le non-dit, ou au moins dans le non-écrit. Et même, que par extraordinaire on en trouve, des rapports, on disséquerait une affaire révolue, qui n'intéresserait plus personne! Et on la disséquerait comme anomalie : une ombre qui met en valeur la lumière!

 – Parce que vous vous croyez seul à douter?

 – Non… Mais il m'est arrivé de me sentir seul à aspirer à une vérité impossible. Il me semble qu'on s'accommode volontiers de peu. Ici, d'un terroriste illuminé qui pratique l'entrisme au nom des opprimés, et s'allie à un vagabond qui identifie la vengeance d'un ami à un vaste projet des forces occultes… Bon, je sais que c'est faux, mais en extériorité ça se gobait… aussi bien que mon histoire gigogne, qui ne tient pas debout! Blancoin tue Dupez pour lui clore la bouche, alors que nul ne l'avait invité à l'ouvrir; Douce Dame Blancoin tue son mari pour venger son père, dont rien n'atteste qu'elle se soit préoccupée un seul instant; le fils tue sa mère, pour faire coffrer Buû; et Buû résistant, la police tue le fils, pour mettre ce meurtre et tous les autres sur le dos d'un clochard! Les auteurs de ces actes, je vous prie de le noter, ayant tous beaucoup à perdre à se retrouver en taule! C'est rocambolesque!

 – Heureux que vous le reconnaissiez.

 – Pourtant c'est la vérité – provisoire! Disons l'antithèse. Une étape de plus, et l'on peut admettre que Robert ait assommé son pote Paulo, et étranglé, pourquoi pas, la châtelaine qui l'aurait surpris dans le parc! Ça, c'est la synthèse molle…

 – Et pourquoi pas un tueur unique, qui courrait toujours?

 – Pourquoi pas? Quelqu'un de très protégé, qu'on aurait chargé du nettoyage… Blancoin pouvait avoir des affaires communes avec un requin de haute volée, qu'il aurait menacé de mettre dans le bain… Un véritable homme d'État, qui ne s'embarrasse pas de morale bourgeoise… Mélanterre a été élu?

 – Vous devez bien le savoir. 62%.

 – Et les gens du BIT sont toujours portés manquants?

 – Toujours.

 – C'est si facile de faire disparaître un corps, ne serait-ce qu'en le fourrant dans un cimetière de campagne, que quand on trouve un cadavre à l'air libre, on n'en revient pas d'une pareille maladresse.

 – Vous devriez rempiler comme tueur, mon frère.

 – Non. C'est un boulot pour désespéré.

 – Je veux dire comme vengeur révolutionnaire.

 – Pour changer les oppresseurs en victimes? Pour leur ramener l'opinion? Tout ce qui rééquilibre prématurément la balance est contre-révolutionnaire. Il faut laisser s'entasser les iniquités.

 – … jusqu'aux étoiles! Oui-da! “J'paie pas mon boy, pour préserver son mécontentement” : vous en êtes là?

 – Je sais pas trop où j'en suis. Mais il me semble que toute action, c'est du rafistolage. Autant s'abstenir.

 – Jusqu'au jour couleur d'orange où ça pétera partout à la fois?

 – Adveniat regnum tuum.

 – On n'en voit pas le chemin.

 – Qui l'éclairerait, puisqu'ils monopolisent la parole? Plus la nuit sera obscure, et plus le feu d'artifice sera grandiose.

 – Amen. L'ennui, c'est que je n'en crois rien, et qu'il faut vivre.

 – Résigne-toi, mon fils. Accepte le monde tel qu'il est, et élève ton âme!

 – Merde! Décidément, je me demande ce que je fais ici.

 – Ah ça, moi aussi.”

 

***

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